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Emile Driant, sa vie personnelle

Naissance et origines familiales

Emile Driant est né le 11 septembre 1855, le jour où l’empereur Napoléon III célèbre l’entrée des troupes françaises dans Sébastopol, mettant fin à la campagne de Crimée.

 

Un heureux hasard l’a fait naître à Neufchâtel-sur-Aisne, où son père sera Juge de Paix durant vingt années, de 1853 à 1873.

Les racines de la famille sont ailleurs : originaires de Bretagne (Driant veut dire « épine » en breton), les Driant se sont établis en Picardie, dans la Thiérache, au XVIe siècle. C’est donc plus au Nord de l’Aisne qu’aurait dû naître Emile Driant. Or, Neufchâtel est, depuis l’Antiquité et durant tout le Moyen-Age, une place forte située sur une ancienne voie romaine. Cette petite ville verra passer les Prussiens en 1870, aura la visite du Kaiser qui y séjournera durant la Grande Guerre, sera deux fois détruite pendant les deux guerres mondiales, et deux fois décorée de la Croix de Guerre. Quel meilleur terreau pour épanouir une future vocation militaire ?!

 

Emile est le fils de Joseph-Théodore Driant (Docteur en Droit, Juge de Paix, né le 22 mars 1823 à Assis-sur-Serre et décédé le 24 novembre 1899 au château de Nouvion-le-Comte) et d'Adèle-Virginie Fay (née le 10 juillet 1829 à La Ferté-Chevresis et décédée le 11 avril 1912 au château de Nouvion-le-Comte). Le couple aura deux enfants: Emile-Augustin-Cyprien (1855-1916) et Léon-Julien-Zéphirin (1858-1899). Ce dernier aura un fils, Emile-Louis-Joseph (1884-1913), officier de cavalerie, décédé sans postérité. 

Enfance et scolarité

Emile Driant débute sa scolarité à l'Ecole de Neufchâtel-sur-Aisne, avant d'entrer à partir de la 8e au Lycée Impérial à Reims.

Il est un excellent élève, et même brillant, avec de réelles facilités. Il se distingue particulièrement en Histoire, Géographie, Instruction religieuse, Dessin et Version latine. Mais il est très inégal d'une année à l'autre, et ses résultats sont souvent atténués par de fréquents problèmes de discipline et de conduite qui lui font manquer certaines années le Tableau d'Honneur auquel il est régulièrement inscrit. 

On voit les premiers signes de la curiosité insatiable dont il fera preuve toute sa vie, le jour où, tentant une expérience, il provoqua une explosion de Fulminate dans le laboratoire de chimie du Lycée ; il faillit d’ailleurs y perdre la vue… après s’être déjà cassé le bras l’année précédente !

 

Alors qu'il n'a que 15 ans, le jeune Emile assiste, impuissant, en 1870, au défilé des troupes du Kaiser dans son village. Cette humiliation le marquera très profondément et ancrera dans son coeur le désir de devenir militaire pour venger cet affront et laver l'honneur de la France. Son grand père le berce d'ailleurs des récits des campagnes Napoléoniennes et lui raconte le jour où à Reims il a aperçu l’Empereur, et celui où à Laon, il a même pu effleurer la redingote trempée de l’Aigle monté sur son cheval. De quoi nourrir et enflammer l’imagination du jeune adolescent. On raconte que le passage des Allemands à Neufchâtel, en 1870, donnera lieu à son premier fait d’arme : une troupe d’Allemands se reposant à proximité du village avait laissé leurs fusils en faisceau ; le jeune Driant parvint à les subtiliser et les jeta dans un puit !

Son père aimerait qu’il fasse du Droit, mais Emile reste déterminé à devenir officier. Après un double baccalauréat en Sciences et en Lettres, il intègre l’Ecole Spéciale Militaire de Saint-Cyr, en 1875, au sein de la Promotion « La Dernière de Wagram », dont il sortira quatrième. Commence alors sa brillante carrière militaire qui le mènera successivement au 54e RI à Compiègne, en Tunisie au 4e Zouaves puis auprès du Général commandant la Division d'Occupation, au Ministère de la Guerre auprès du général Boulanger, de retour en Tunisie au 4e Zouaves, à Saint-Cyr comme Capitaine-Instructeur, et enfin Chef de corps du 1er Bataillon de Chasseurs à Pied.

Durant tout ce temps, il reste proche de sa famille, avec qui il correspond régulièrement. En 1880, alors qu'il est hospitalisé au Val de Grâce, plusieurs semaines, pour une ophtalmie, il tient un journal adressé à ses parents dans lequel il leur écrit chaque jour; il ne leur fera parvenir qu'une fois définitivement guéri pour ne pas qu'il aient eu à s'inquiéter pour lui.

Mariage avec Marcelle Boulanger

En 1884, alors qu'il est affecté au 4e Régiment de Zouaves à Tunis, Emile Driant fait une rencontre qui marquera profondément sa vie personnelle et sa carrière. Le général Georges Boulanger, nommé commandant de la Division d'Occupation française en Tunisie, recherche son officier d'ordonnance et demande qu'on lui présente un officier parmi les mieux notés. C'est le jeune lieutenant Driant qui lui est immédiatement proposé, sans la moindre hésitation. Une relation d'estime mutuelle naîtra entre les deux hommes. De sorte que le général Boulanger emmène avec lui, à Paris, son officier d'ordonnance lorsqu'il est nommé au Ministère de la Guerre, ou encore à Clermont-Ferrand lorsque, quittant le gouvernement, il est nommé à la tête du XIIIe Corps d'armée.

Cette amitié entre les deux hommes, et les longues heures à travailler ensemble, permet à Emile Driant d'entrer dans l'intimité de la famille Boulanger. C'est alors qu'il fait la connaissance de la fille cadette du général. Marcelle est née le 12 décembre 1868 à St-Cyr-l'Ecole, alors que son père y est instructeur. Elle est la fille du fameux général et de Lucie Renouard, fille du diplomate et artiste Paul Renouard, petite-fille du fameux bibliophile Antoine-Augustin Renouard. Marcelle a une soeur aînée, Hélène, qui épousera Paul Auguez de Sachy, dont elle aura deux fils, Roger et Georges. Les deux soeurs resteront toujours très proches et profondément liées.

Emile et Marcelle se marient le 29 octobre 1888, à l'église Saint-Pierre de Chaillot, à Paris. Ils auront pour témoins Léon Driant, frère d'Emile, Arthur Dillon et le général François Faverot baron de Kerbrec'h, amis du général Boulanger, et Arthur Griffith of Llaneravon, oncle de la mariée. Ce mariage sera particulièrement médiatisé puisqu'il a lieu en pleine montée du mouvement boulangiste.

Le jeune couple retourne ensuite en Tunisie où le capitaine Driant est affecté de nouveau au 4e Régiment de Zouaves. Ils y feront les frais de leur relation avec le "Général Revanche" et subiront un certain nombre de vexations. Notamment, le capitaine Driant est envoyé aux confins de la Tunisie, à Aïn Draham, à plus de 200 kilomètres de Tunis. On lui refuse la permutation avec un autre officier que sa situation matrimoniale autoriserait, son épouse attendant un heureux évènement. Marcelle le suivra néanmoins dans toutes ses campagnes.

Douleurs et joies de la paternité

Lors de leur séjour en Tunisie, le couple Driant aura trois enfants, dont une seule survivra.

Henri-Jean-Hussein nait le 19 août 1889, à Aïn Draham. C'est son père, seul officier sur place habilité à enregistrer une naissance à l'état-civil, qui prendra acte de sa naissance, faisant à la fois office de père et... de maire. L'enfant décèdera 8 mois plus tard, du fait des mauvaises conditions d'hygiène, le 16 mai 1890. Comme tous les enfants Driant qui naîtront en Tunisie, il a reçu, parmi ses prénoms, un prénom arabe, hommage du jeune couple à leur terre d'accueil.

Le 22 août 1890, le couple aura la joie d'accueillir un deuxième enfant, une fille: Marie-Térèse-Virginie-Taâzia, consolation de la perte du petit Henri ("Taâzia", à la fois "consolation" et "condoléances" en arabe). Son prénom "Térèse" est orthographié sans "h" en hommage à la grande Térèse d'Avila. Elle sera surnommée "Chérie" et portera bien ce nom, car elle fut l'enfant chéri de ses parents et de sa famille. Le capitaine Danrit la mettra en scène, jeune et belle adolescente, dans son roman Les Robinsons Sous-marins

Le 17 août 1891, Marcelle met au monde Henri-Léon-Jean-Hussein. L'enfant décèdera un mois plus tard, le 18 septembre 1891. Il reposera près de son frère dans le petit cimetière chrétien de Tunis, sur cette terre arabe où les parents devront les laisser lorsqu'ils rentreront en France, n'emportant avec eux que quelques fleurs cueillies sur l'arbuste poussant sur la tombe.

La perte de ce deuxième enfant sera une épreuve terrible pour le jeune couple qui en est profondément meurtri. Ce décès interviendra quelques semaines avant le décès tragique du général Boulanger, mettant fin à ses jours au cimetière d'Ixelles.

De retour en France, alors que le capitaine Driant est affecté à l'Ecole Spéciale Militaire de Saint-Cyr comme instructeur, le couple donnera naissance à un troisième fils. Georges-Albert-Cyr est né le 27 juillet 1893, à Saint-Cyr l'Ecole.

Deux autres enfants viendront compléter la fratrie, alors que la famille Driant est installée à Troyes où le commandant Driant est à la tête du 1er Bataillon de Chasseurs à Pied. Les deux garçons auront dans leurs prénoms "Urbain" en hommage au saint patron du lieu.

Raoul-Lucien-Albert-Marie-Urbain est né le 28 juillet 1899. Il aura comme parrain le futur général Albert Baratier (1864-1917) qui participa avec le capitaine Marchand à la Mission Congo-Nil, qui s'ébranla de Loango (Congo) sur l'Atlantique et se termina finalement par l'évacuation de Fachoda, au sud de l'Egypte en décembre 1898.

Enfin, le 29 août 1901, nait le petit dernier, Robert-Marie-Paul-Urbain. 

Aux côtés des quatre enfants Driant, Marie-Térèse, Geoges, Raoul et Robert, il convient de compter leurs deux cousins Auguez de Sachy, Roger et Georges, fils d'Hélène Boulanger, dont ils sont extrêmement très proches.

Un large réseau d'amitiés

La vie du couple Driant dépasse le cadre strictement familial et s'étend à un large réseau d'amis.

Emile Driant est d'ailleurs particulièrement fidèle en amitié. Alors qu'il sort 4e de Saint-Cyr en 1877 et qu'il pourrait choisir les affectations les plus prestigieuses, Emile Driant choisit de façon étonnante le 54e RI à Compiègne... Une des raisons supposées est qu'il souhaitait y suivre un de ses amis. Et certaines photos de l'époque le montrent en effet entouré de quelques camarades avec qui il aimait se prendre en photo en faisant des pitreries.

La carrière d'Emile Driant lui a permis de nouer de nombreuses relations. Parmi tous ces amis, on retrouve d'anciens camarades de l'ESM, des contacts noués au Ministère de la Guerre, des fréquentations de Tunisie, des relations versaillaises de l'époque de Saint-Cyr ou d'anciens élèves-officiers, des amis de Troyes, Paris, Nancy... des relations dans le monde politique comme dans le monde artistique.

Emile Driant écrit beaucoup et entretient ses relations par une abondante et quotidienne correspondance. Le couple reçoit aussi régulièrement autant en Tunisie, qu'à Paris ou au château de Pixérécourt, près de Nancy.

Emile Driant se plait, dans ses romans, à faire apparaître, sous leur vrai nom ou en le modifiant légèrement, certains de ces amis et relations, comme un clin d'oeil ou une occasion de leur rendre hommage.

De nombreux centres d'intérêt

Parmi les traits qui définissent la personnalité d'Emile Driant, il y a, unanimement, la curiosité. Cette qualité, dont il tira merveilleusement parti dans l'écriture de ses romans d'anticipation, l'incitait ainsi à s'intéresser à toutes sortes d'innovations. C'est ainsi qu'Emile Driant pratiqua un grand nombre d'activités, parmi lesquelles la photographie, le cyclisme, l'aérostation, l'automobile.

 

S'il avait de réels talents de dessinateur, qui lui permirent d'être associé à différentes missions de relevés topographiques, Emile Driant s'intéressa aussi très tôt à la photographie. Dès sa sortie de Saint-Cyr, il pratiquait cet art nouveau, et aimait à se prendre en photo avec ses camarades, en insérant des légendes humoristiques sous la photo développée, à l'instar des jeunes d'aujourd'hui qui publient leurs selfies sur Instagram ou Snapchat. En Tunisie, la maîtrise de cet art lui fut d'une grande utilité, lui permettant de rapporter des campagnes effectuées aux côtés du général Boulanger, des clichés de ruines et monuments aperçus en chemin, bien plus faciles à graver dans le verre qu'à croquer à toute vitesse. C'est ainsi qu'Emile Driant laissera une quantité considérable de photos à différentes époques, et notamment de ses séjours en Tunisie. Même au Bois des Caures, à la fin de sa vie, il continuait à prendre en photo ses chasseurs ou à se faire prendre avec eux, laissant ainsi de précieux témoignages photographiques.

 

C'est la bicyclette qui attira ensuite son attention. Outre l'intérêt militaire qu'il prêtait à ce véhicule, et dont il encouragea activement l'usage en soutenant les travaux du capitaine Gérard, inventeur de la bicyclette pliante de campagne, il pratiquait assidument cette activité. A Saint-Cyr, lorsqu'il y était instructeur, il avait fondé un club cycliste et organisait des courses régulièrement: 100km autour de Versailles, Paris-Rouen... Il publia de nombreux articles sur le sujet dans la revue du Touring Club de France, dont il était membre, dans le journal Le Vélo - sous le pseudonyme de Marcellus - ainsi que des études sur le cyclisme militaire dans la revue Le Monde Moderne.

 

Emile Driant s'intéresse aussi à l'automobile. Avec son épouse, il est membre de l'Automobile Club de France. Il sympathise avec le comte de Dion qui remporta, en 1894, la première course automobile Paris-Bordeaux, sur une automobile Dion-Boutton, avec à son bord… le Capitaine Driant faisant partie du jury. Il est titulaire d'un Permis de Conduire (ou plutôt d'un "certificat de capacité valable pour la conduite des voitures automobiles à pétrole"). Il aura deux automobiles: une Richard en 1903, puis une Charron à partir de 1909.

Enfin, le commandant Driant était membre du Club Aérostatique de l'Aube avec lequel il participait à diverses ascensions en ballons. Il écrivit beaucoup sur le sujet et était convaincu de l'intérêt que les activités aériennes apporteraient notamment dans les guerres à venir.

Il est probable aussi, vu l'intérêt qu'il y a porté dans ses romans, que Driant s'intéressait aux choses maritimes, mais rien n'indique explicitement qu'il ait pratiqué de telles activités. En revanche, il pratiquait aussi la pêche et la chasse assidument.

Un chrétien fervent et engagé

On ne peut évoquer la vie personnelle d'Emile Driant sans évoquer ses convictions religieuses. S'il a eu de nombreux prix d'Instruction religieuse durant son enfance, on ne sait quelle fut la profondeur de ses convictions durant ses premières années. Emile Driant était en tout cas un chrétien, croyant et pratiquant. C'est durant leur séjour en Tunisie, sous la double influence de son épouse très pieuse et de la perte de ses premiers enfants, que la Foi d'Emile Driant semble avoir gagné en profondeur. Le jeune couple y fréquente assidument le clergé local autour de la cathédrale du cardinal Lavigerie.

Emile Driant entretenait des relations amicales ou sociales avec de nombreux prêtres, prélats, missionnaires, évêques, comme Mgr Lanusse à Saint-Cyr, le RP Delattre en Tunisie, les évêques de Troyes et de Nancy, le Père Baetmann qui faisait presque partie de la famille et sera très présent auprès des enfants Driant après la mort de leur père. Tous, dans leurs correspondances avec Emile Driant ou son épouse, louent sa grande foi et sa profonde charité.

Dans un contexte d'anticléricalisme exacerbé, Emile Driant, en tant qu'officier ou écrivain, fit peu état de sa Foi catholique. Il n'hésitait tout de même pas à la manifester publiquement, lors des célébrations religieuses à la cathédrale de Troyes à l'occasion de la fête de Sidi-Brahim au 1er BCP, en luttant contre l'influence de la Franc-Maçonnerie non seulement dans l'Armée mais dans la société toute entière, en défendant la liberté du culte et la liberté scolaire à la Chambre en tant que député, en adhérant à différentes associations catholiques et en soutenant le mouvement d'un catholicisme social sur les pas d'un Frédéric Ozanam ou d'un Albert de Mun...

Deux anecdotes touchantes peuvent illustrer cet attachement. En décembre 1896, à la suite de la perte d'un enfant avant terme, son épouse, Marcelle, fut atteinte d'une fièvre puerpérale. Malgré le diagnostic extrêmement pessimiste des médecins, son épouse guérit. Le commandant Driant tint à déposer un ex-voto en action de grâces à la basilique ND des Victoires, à Paris pour cette guérison inespérée. Autre anecdote: lors d'une manoeuvre en 1903, avec le 1er BCP, il visita la Chartreuse de Bosserville, dont les Pères Chartreux qui y étaient installés depuis 1666 venaient d'être expulsés; il eut à coeur de recueillir un crucifix et quelques images trouvées dans la cellule abandonnée du Prieur, qu'il conserva pieusement et rapporta chez lui.

C'est le même Emile Driant qui, au Bois des Caures, la veille de sa mort se confessa et reçut l'absolution des mains du RP de Martimprey et qui s'écroula, touché par une balle ennemie, en s'écriant "Oh là! Mon Dieu!".

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