

Récit du Lieutenant Emile QUAEGEBEUR (10e Cie du 56e BCP)
Récit du Lieutenant Emile QUAEGEBEUR (10e Cie du 56e BCP), qui a combattu avec sa section aux côtés du 165e RI à la Ferme d'Anglemont et a été fait priosonnier le 23 février 1916, issu d'un manuscrit laissé à sa famille, déposé aux Archives départementales du Nord (cote 239 J 25) en 2024 :
Le 21 février 1916 vers 7h15 commence le bombardement de nos postes par les Allemands. Le 56e était en repos et la 10e Cie en particulier était dans 2 péniches à 500m au N de Vacherauville. Je donnais immédiatement l'ordre à mes hommes de s'équiper et de former à terre les faisceaux de fusils et de sacs. Vers 7h30, je reçus l'ordre de rejoindre le reste du Bataillon à la ferme Mormont. Toute la journée j'y restai et le bombardement de la ferme devenant meurtrier, le Cne Vincent commandant le 56e Bataillon me fit vérifier avec ma Cie les éléments de tranchée à l'Est de la ferme. Vers 17h30, le 56e Bataillon quitta Mormont pour aler renforcer le 59e au Bois des Caures. Le mouvement se fit par compagnie, la 10e partant la dernière. Vers 18h, le Cne Vincent me donna l'ordre d'aller soutenir à la ferme d'Anglemont un bataillon du 165e qui se sentat très menacé, cette mission achevée je devais rejoindre le 56e aux abris de Joli Coeur. Le mouvement se fit assez lentement car il fallait traverser un épais réseau de fils de fer dont les chicanes avaient été bouchées le matin même, puis descendre toute la pente qui mène à Anglemont, sous les lumières d'un projeteur allemand déjà installé au bois d'Haumont et sous un feu d'artillerie ennemi. De plus, de sérieuses précautions étaient à prendre, les nombreuses fusées éclairantes illuminant sur ma droite me révélant la proximité de l'ennemi.
Vers les 7h j'arrivai à Anglemont et me mis à la disposition du Cne Delaplace du 165e Régiment d'Infanterie, le chef de Bataillon et sous les ordres directs de qui je restai jusqu'au moment de ma captivité.
Des patrouilles alelmandes ayant été signalées aux abords de la ferme, je fus chargé de m'occuper de la défense d'une partie de celle-ci. J'envoyai quelques reconnaissances qui me ramenèrent des prisonniers qui furent dirigés vers Vacherauville. Vers 21h le Cne Delaplace reçut le renseignement que l'ouvarge R5 du Bois des Caures qui était tenu par une de ses compagnies était en partie en possession des Allemands. Je reçus la mission d'aller rétablir la situation. Je partis avec un de mes pelotons et nettoyai les ouvrages et abris où les Allemands avaient pénétrés, quelques prisonniers furent encore ramenéset expédiés sur Vacherauville.
Journée du 22. De minuit à 4h la nuit fut calme. En prévision de la reprise du bombardement par les Allemands des dispositions furent prises et les hommes, placés dans les abris attenant à la ferme. A 6h le bombardement d'Anglemont recommence, il fut très efficace, les Allemands étant maîtres du bois d'Haumont avaient des vues sur Anglemont. Vers 7h30, le Cne Delaplace me donna l'ordre de me porter avec toute ma Compagnie en R5 pour soutenir une contre-attaque qui serait faite pour reprendre le bois d'Haumont. (cette cntre-attaque ne fut jamais faite.) J'ordonnai à mes chasseurs de rejoindre isolément la lisière du Bois des Caures, distante de 400m et de se reformer là par section. Pendant que je donnai ces ordres, 2 abris furent écrasés et de nombreux chasseurs furent ensevelis. Ne pouvant songer à les secourir nous-mêmes, ma présence étant nécessaire en R5, je demandais au Cne Delaplace de s'occuper des travaux de déblaiement. [Rayé : R5 se trouvant sur la lisière opposée du Bois des Caures] La traversée du Bois des Caures pour rejoindre R5 se fit sous un violent feu d'obus de 210. Le bois était très clair en cette partie d'ailleurs entièrement dominée par le bois d'Haumont. Le mouvement me couta quelques pertes, bien que les hommes marchassent en colones d'escouades par six à grands intervalles. L'artillerie ennemie continuant à nous harceler en R5, je logeais mes hommes dans différents abris. Malheureusement, 2 de ces abris furet écrasés et trois escouades environ ensevelies. Dès ce moment et jusqu'à notre captivité, des travaux de sauvetage furent faits sans répit pour sauver nos malheureux camarades : quelques uns seulement purent être ramenés. Le travail était très lent [Rayé : faute d'outils] car il fallait déblayer à la main pour ne pas blesser les enterrés; il fallait en outre s'arrêter souvent soit pour prendre son poste de combat, soit pour échapper au bombardement ennemi qui reprenait dès qu'un mouvement se dessinait chez nous. Au moment de ma capture, je signalai à un officier allemand les travaux de sauvetage en cours, il me fut promis qu'on les continuerait. Dans l'après-midi, la compagnie Guyon [?] du Bataillon Delaplace vint occuper l'ouvrage R4; [Rayé: R5 était occupé par ma compagnie] ma compagnie se plaça derrière une fausse haie reliant R4 à R5. Toute la nuit du 22 au 23 se passa en alerte continuelle, mes hommes sans abris étaient couchés dans la neige.
Journée du 23. Vers 4h30, le Cne Delaplace vint prendre en personne le commandement des ouvrages R4 - R5. Durant la nuit les Allemands avaient continué leur pénétration dans le Bois des Caures, et une patrouille de liaison envoyée vers R3 (tenu par la Cie Berweiller du 56e) n'était pas revenue. Une contre-attaque fut décidée, elle serait faite par 3 compagnies : la compagnie Guyon [Rayé : pivotant autour de sa position] restant sur sa position R4, la compagnie Gabriel [?] du 165e et ma compagnie formant l'aile droite de l'attaque. But : dégager R4 et R5 que les Allemands enserraient d'une façon inquiétante. L'attaque commença à 7h et fut précédée de 10 obus de 75. L'ennemi retranché dans d'immenses trous d'obus qu'il avait aménagés pendant la nuit nous reçut à coups de fusil et de grenades à main. L'attaque progressa néanmoins et atteignit le but fixé. Suivant l'ordre reçu je fis alors aménager les trous d'obus que nous occupions. Mais vers 10h l'ordre me fut donné de reprendre mon emplacement entre R4 et R5. Le mouvement se fit par échelons et presqu'inaperçu de l'ennemi.
Vers 12h la liaison fut coupée avec Anglemont; c'était l'encerclement complet. Dans le courant de l'après-midi, des mouvements ennemis furent remarqués entre Anglemont et nous. Un engagement décisif étant proche, je détruisais les papiers de la compagnie, mes cartes d'état-major et de secteur. Vers 17h, le Cne Lehet [?] du 324e dont la Compagnie était venue nous renforcer dans la matinée, nous dit au Cne Guyon et à moi : "Le Cne Delaplace juge la situation désespérée et dit qu'il lui est impossible de tenir plus longtemps." Le Cne Guyon et moi, suivis de quelques autres officiers chefs de section [Rayé : dont le S/Lieutenant Rousmans et] décidons d'aller trouver le Cne Delaplace et de lui suggérer l'issu d'une percée à travers les lignes allemandes au cas où la résistance sur place serait impossible. Nous nous rendîmes en conséquence au P.C. du Cne Delaplace. [Nous n'y trouvions personne] Il était vide. Nous pensâmes que le Cne Delaplace était en R5 et nous y allâmes et là nous fûmes pris par les Allemands qui occupaient déjà R5 sans que nous n'en ayons rien su.
Dès la 1e journée de ma captivité, je fus séparé de mes chefs de section, d'autre part les Allemands m'ayant confisqué mes papiers il m'est impossible arès 3 ans de reconstituer fidèlement la liste de tous ceux qui ont mérité d'être cité pour leur belle conduite durant ces trois jours.
En conséquence, si le commandant du 56e Bataillon croit que malgré leur capture, quelques gradés et chasseurs de la 10e Compagnie sont dignes d'être cités à l'ordre du jour du Bataillon, je me permettrai [Rayé : de lui envoyer] dès que j'aurai repris contact avec mes anciens chefs de section, de lui adresser un état des plus méritants bien que tous aient durant 3 jours rivalisé de courage et d'endurance.


