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Récit d'un officier du 59e BCP

Récit des combats du Bois des Caures par un officier du 59e BCP dont le nom n'est pas connu, transmis par Georges Berthoulat, Directeur du journal La Liberté, à Madame la colonelle Driant le 17 mars 1916



Paris, le 17 Mars 1916

La Liberté - Direction

Madame,

je me hâte de vous remercier de la lettre que vous avez bien voulu m'écrire ce matin.

Dans la même pensée d'admiration et d'espérance qui a inspiré ma première communication, je crois devoir vous transmettre aussi, avant qu'elle ne paraisse dans LA LIBERTE de ce soir, une lettre qui émane d'un officier du Colonel, ami intime d'un de mes amis et personnalité digne de toute créance.

La Censure a fait quelques suppressions que LA LIBERTE respectera mais dont la cope ci-contre ne porte pas la trace.

Je renouvelle, Madame, mes voeux profonds pour que vous receviez bientôt des nouvelles de la captivité de votre héroïque mari, et je vous prie d'agréer les hommages de mon respect.

Georges Berthoulat


Tous les jours nous voyons dans les journaux les histoires les plus fantaisistes concernant l'affaire où est disparu le colonel Driant.

Je vous affirme que certains de ces articles nous peinent énormément, nous, les quelques rares survivants des "Chasseurs de Driant" qui avons conscience d'avoir fait tout notre devoir.

Je crois nécessaire de vous raconter succintement les quelques heures terribles et inoubliables que nous avons vécues, les 21 et 22 février dernier.

Le 21 au matin, les Allemands déclenchent sur le bois des C... [Caures] où notre bataillon tenait les avant-postes, depuis 4 jours déjà, et sur les positions voisines, un feu roulant d'artillerie de très gros calibre (160-210-305) toutes communications sont coupées, des barrages fantastiques nous isolent complètement. Les tranchées, boyaux, abris, sont écrasés, de nombreux chasseurs sont ensevelis; au mépris du danger, les chasseurs cherchent à dégager leurs camarades ensevelis.

A 17 heures, le tir s'allonge, les ennemis s'étant emparés du bois d'H... [Haumont], secteur voisin, tentent une attaque de flanc qui les rend maîtres d'une de nos tranchées.

D'autres attaques de face leur permettent de s'introduire dans divers éléments bouleversés, dont ils sont immédiatement chassés à la grenade.

Dans la nuit, malgré des barrages terribles, deux compagnies de l'autre bataillon du groupe viennent en renfort et prennent la place des unités annéanties.

Le ravitaillement en cartouches et en grenades se fait au prix des plus grandes difficultés sous le bombardement continu quoique légèrement ralenti.

Le 22, à 7 heures du matin, le bombardement reprend avec plus d'intensité que la veille (dans un espace de 200 mètres, il tombe environ trois obus à la seconde) c'est un véritable roulement de tambour.

Le bois n'existe plus, tout est nivelé, partout des trous, des arbres abattus; on ne voit plus ni route, ni chemin, ni tranchée, ni abri.

Les hommes restent, stoïques, sous l'avalanche de fer et de feu ; pas un ne manifeste le moindre sentiment de peur. A midi (trentième heure de bombardement) le tir s'allonge, de grosses masses ennemies se dirigent vers la position voisine, par laquelle elles tentent de nous tourner.

Les demandes réitérées de barrages restent sans résultat, les pièces spéciales étant écrasées.

La masse allemande arrive de plus en plus formidable de tous côtés, nos mitrailleuses et nos tirs de mousqueterie fauchent sans arrêt, (une section de mitrailleuses brûle toutes ses cartouches et réussit à ramener ses deux pièces intactes au prix des plus grandes difficultés).

Devant nous, la marée allemande s'arrête.

Malheureusement, les secteurs voisins ont été enfoncés. Nos compagnies de grand'garde, prises à revers, enserrées de tous côtés, se défendent désespérément, mais sont submergées (pas un homme n'en revient).

L'ennemi cherche alors à encercler la position où se trouvent le colonel Driant et les commandants des deux bataillons, entourés des derniers défenseurs du bois.

Des éléments de tranchées perdus sont repris à la grenade, la lutte est très vive, les mitrailleuses amenées aux endroits critiques ralentissent l'avance ennemie qui s'arrête et amène un canon.

La position prise en écharpe, à revers, garnie par une poignée d'hommes qui tous ont fait le serment de mourir plutôt que de se rendre, devient d'autant plus intenable que les machoires de la tenaille se referment en arrière.

A ce moment, le colonel Driant, jugeant la situation désespérée, réunit en conseil de guerre les quelques officiers qui se trouvent autour de lui. Il expose en quelques mots la situation, constate que chacun a fait son devoir jusqu'au bout, estime que rien ne peut plus arrêter l'ennemi et pose la question de savoir s'il vaut mieux périr honorablement mais sans profit avec la poignée d'hommes qui lui reste, ou chercher à sauver quelques braves gens qui, par la suite, pourront encore être utiles à leur pays. Les avis sont partagés, tout le monde pleure, à quinze heures trente, l'ordre de repli est donné; le colonel prend la tête de sa petite colonne, les commandants des bataillons la tête d'une autre. - Le lieutenant S. [?] couvre le mouvement en arrière et le capitaine V. [?] s'efforce d'empêcher la tenaille de se refermer.

A ce moment (15 heures 45) pour la dernière fois, j'aperçus le colonel Driant et le commandant R. [Renouard] se dirigeant vers le village de B... [Beaumont] où doivent se rassembler les débris des bataillons. Me retournant pour faire face à l'ennemi qui nous suit, je les perds de vue; un chasseur me dit les avoir vus se jeter dans les trous d'obus.

Nous supposons que pris sous les feux convergents de plusieurs mitrailleuses balayant la longue croupe que nous devions franchir pour arriver au village, blessés ou non, le colonel et le commandant ont du chercher un abri, espérant profiter de la nuit pour rejoindre les lignes françaises. Toujours est-il, qu'à partir de seize heures personne ne les a plus vus.

Du peu d'hommes sortis du bois, moitié à peine ont pu atteindre le village, où ils se sont reformés et se sont immédiatement placés à la disposition du commandement, restant encore deux jours entiers sous les obus.

En somme, les chasseurs de Driant ont été admirables et en tous points dignes des chefs qui au cours des deux premières journées de la bataille de Verdun ont su forcer leur admiration.


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