

Récit du Sergent Maurice LECLERE (10e Cie du 56e BCP)
Lettre du Sergent-fourrier Maurice LECLERE, adressée depuis sa captivité au camp de Meschede, le 23 avril 1916, à Mme la Colonelle Driant :
Madame Driant,
Le Chasseur Chaix, du Bataillon ayant reçu votre lettre dans laquelle vous lui demandez des nouvelles de votre cher Mari, m'a chargé de vous répondre, ce dont je m'acquitte aujourd'hui. Ce n'est pas sans une profonde émotion que je vous trace ces quelques lignes, car ces terribles moments sont de terribles souvenirs.
Le 21 février, vers 7 heures du matin, les Allemands commencèrent un bombardement très violent sur nos positions et qui dura jusqu'à 5 heures du soir. Pendant ce temps, notre cher Colonel, était prêt de nous ; arrivé de très bonne heure, il conserva son calme habituel, distribuant à tous des paroles d'encouragement et se portant lui-même au secours de plusieurs chasseurs ensevelis sous un abri écroulé.
Après le bombardement, les Allemands réussirent à pénétrer dans quelques unes de nos tranchées qui furent vivement reprises. Le Colonel accompagné d'un homme de liaison partit faire une ronde dans les postes après avoir envoyé ses ordres à tous. La nuit fut calme. Le lendemain au petit jour, le bombardement reprit avec plus de violence que la veille. Notre abri, d'une contruction très solide, résista à plusieurs gros projectiles. Vers midi, tout bruit cessa et au cri de "Aux Armes" nous quittions nos abris, les Allemands attaquaient.
Nous résistâmes jusqu'à 3 heures ; le Colonel portait le coup de feu avec nous. A ce moment, nous apprenons que nous étions débordés sur la gauche ; alors, il nous réunit tous et une grosse larme roula sur ses joues en nous donnant l'ordre de nous replier. Je le suivais. A notre sortie du bois, un feu violent de mitrailleuses nous accueillit ; nous réussimes à nous serrer derrière un petit monticule. Alors il me dit : "- Attendons la nuit ici, peut-être pourrons-nous atteindre Beaumont à la lune. - Impossible, lui dis-je, les Allemands arrivent ! - Faites ce que vous voudrez, me dit-il, je ne puis rester ici, au revoir et bon courage. "; et il continua sa course vers le Sud. Un feu violent l'accueillit. Après la rafale, je pris la même direction. Ne l'apercevant plus, je me dirigeais vers un trou d'obus. Les balles pleuvaient de tous côtés. Au moment de sauter dans cet abri de fortune, j'aperçut un chasseur couché sur le bord du trou, la main au visage et j'entends "Mon Dieu ! Mon Dieu !". Ayant retrouvé plusieurs camarades dans cette excavation nous nous portâmes au secours du blessé et quel fut notre émoi en reconnaissant notre cher Colonel, la tempe gauche percée d'une balle ! Nos soins furent vains. Nous étions cernés de tous côtés et durent l'abandonner, emportant avec nous le plus bel exemple de courage et de mépris du danger de celui qui fut toujours le "Père des Chasseurs".
Que cette mort glorieuse adoucisse votre douleur et recevez, Madame, mes sincères condoléances.
Un Chasseur de Driant.
Leclère


