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  • Photo du rédacteurDRIANT Emile

Conférence "L'Armée et les Fiches" (18/02/1906)

Dernière mise à jour : 23 nov. 2020

Le 18 février 1906 après-midi, a eu lieu, dans la salle du Cirque, à Rouen, une grande réunion-conférence organisée par le comité local de la Patrie française.

Y était présent un public très nombreux et très vibrant de quatre mille personnes.

M. le docteur Boucher, l’amiral Bienaimé, M. Copin-Albancelli et M. Oster ont, les premiers, pris la parole. Le commandant Driant leur a succédé à la tribune.

Le journal L'Eclair du 19 février 1906 rapporte les passages essentiels de son discours :


J’imagine que dans une trentaine d'années, peut-être avant, car nous sommes emportés par une fièvre galopante, un cicérone se trouvera qui, sur les ruines de Paris brûlé par la Révolution du Grand Soir, racontera aux visiteuses, Gretchen sentimentales et Slaves rêveuses, une histoire imagée comme celle-ci :

« Dans ce merveilleux pays baigné par deux mers, que les poètes ont chanté comme un paradis et où vous ne voyez plus que désolation, un arbre magnifique étalait il y a cinquante ans sur un sol béni sa vigoureuse frondaison. Longtemps il avait prêté son ombre aux arbustes plus faibles du voisinage et jeté ses fruits sans compter aux peuples besogneux.

En 1870, un coup de foudre brisa sa cime et on crut qu’il n’en reviendrait point. C’était mal connaître la vigueur des racines enfouies dans le sol ancestral depuis quatorze siècles. En moins de quinze ans la déchirure laissée par l’arrachement de deux rameaux verts se cicatrisa, l’ombre du vieil arbre continua à s’étendre et des pousses vigoureuses, issues de ses racines, émergèrent et s’épanouirent même sur des rivages lointains.

L’arbre de France portait trois branches maîtresses et, chose curieuse, chacune d’elles donnait une floraison de couleur différente. Soudain un mal inconnu surgit qui les attaqua l’une après l’autre.

La première branche atteinte fut celle dont les corolles étaient blanches, couleur de la justice et du droit. Les fleurettes se détachèrent, la branche elle-même se dessécha et un beau jour on s'aperçut qu’elle avait été coupée pour servir d’étai au tronc lui-même.

Puis ce fut le tour de la branche aux fleurs bleues, couleur de ciel et d’idéal ; elle résista mieux celle-là, car elle jaillissait du centre même de l’arbre ; mais, quand toute sa floraison se fut répandue sur le sol, et quand le vent des tempêtes eut emporté vers des pays étrangers les corolles d’azur, une main sinistre apparut qui, dans l’ombre de la nuit descendante, scia la branche.

Il en restait une qui portait des fleurs rouges, couleur de sang. Celle-là était nécessaire à la vie même du patriarche, car elle le dominait : elle protégeait sa cime contre les tempêtes et le gel. Elle aussi commença à se dessécher.

Des travailleurs s'ingénièrent alors à découvrir l’origine du mal mystérieux.

Ils fouillèrent au pied du tronc, découvrirent des bêtes au poil changeant qui, aussitôt mises au jour, disparurent dans des alvéoles insoupçonnées. Ils allèrent plus profondément, jusqu’à l’origine même des racines, et soudain un coup de pioche vigoureux tomba au milieu d’une légion de rongeurs accrochés de toute la vigueur de leurs mâchoires aux varicelles du pauvre arbre. Des ramifications souterraines prouvèrent qu’ils venaient de partout. C’était une bande de dévorants cosmopolites et, depuis plus d'un siècle, on en avait pris les quelques spécimens connus pour des hôtes inoffensifs. On les projeta à la lumière crue du soleil : leurs yeux clignotèrent et ils voulurent se rejeter dans leurs trous. On les piétina : ils s’aplatirent, se confondirent avec le sol et, devenus invisibles, se remirent à l’œuvre de destruction dès qu'ils se crurent oubliés.

Du bel arbre de France sous lequel avaient peiné, pleuré et chanté des générations d’aïeux, il ne reste plus, jeunes filles, que ces branches pourries et ce tronc vide que vous voyez là. »

 

Voilà ce que pourra raconter un jour un poète amoureux de la métaphore, si nous ne défendons pas, pendant qu’il en est temps encore, la patrie des aïeux, la terre où ils dorment et les traditions qu’ils nous ont léguées.

Car ce nid de bêtes au poil changeant, c’est la Franc-Maçonnerie cosmopolite. Ils sont dans notre pays 25 à 26,000 qui ont adulé, servi, trahi successivement tous les régimes. Terrés et invisibles, accaparant pour eux et leur servile clientèle les richesses du pays, ils en tarissent la sève et par la persécution, la haine semée entre les citoyens, le découragement jeté dans l’armée, ils mènent la France à la ruine économique et à un désastre militaire.

La Magistrature aux fleurs de droit et de justice fut la première asservie par eux. Du temple des lois, ils firent une boutique de change, un marché à l’encan : aux hommes qu'ils installèrent derrière ce comptoir, ils remirent un glaive à deux tranchants, l’un émoussé pour servir à leurs amis, l’autre terriblement affilé pour rendre la justice aux autres! Aujourd’hui les tribunaux sont le plus solide étai du régime. « Frappez fort », leur a dit récemment le successeur de d’Aguesseau; et des hommes qui ont prêté serment de ne forfaire ni à l'honneur ni à la loi ont infligé à des Français protestant au nom de leur foi des peines qu’ils adoucissaient pour le souteneur comparaissant à la même barre... Le capitaine de Vézins est condamné récemment comme un malfaiteur à la suite de l’inventaire d’une église de Versailles et je lisais encore l’an dernier en terre allemande, sur une tombe qui borde la route de Gravelotte à Mars-la-Tour, cette inscription signée du même nom que le sien : "Passant, va dire à ma mère que je suis mort ici pour la France!" Il n'y a plus pour cette magistrature domestiquée qu’une catégorie de coupables, celle des ennemis du Grand-Orient, et notre crédulité est telle que la légende imbécile a appelé pendant des années le Bon Juge un Magnaud de Château-Thierry, jusqu’au jour où, laissant au vestiaire son masque de fausse humanité, le franc-maçon s’est révélé chez lui indulgent aux criminels, impitoyable aux sœurs de charité.

Quand la magistrature fut prête pour la besogne qu’en attendaient les Loges, la secte s’attaqua à ce deuxième pilier de l'ordre social qu’est l’Eglise. Ebranlé avec fureur depuis quelques années, il gît à terre aujourd’hui. Aux conceptions ataviques d’une vie de résignation et de droiture, d’une existence future consolante à l’âme, la Franc-Maçonnerie a substitué le culte du matérialisme. On verra dans peu, on voit déjà aujourd’hui où un pareil système d’éducation conduit un peuple. Mais, disons-le hautement, l’Eglise n'a pas su se défendre. Elle s’est imaginé qu’en sacrifiant ses avant-gardes elle sauverait le corps principal de l'armée, qu’en faisant preuve d'esprit de conciliation, elle désarmerait ses oppresseurs. Elle ne les connaît pas. Non, non, on ne s’en tire pas avec la Veuve par des concessions; avec un ennemi dont toute la tactique consiste à sérier les destructions, il fallait moins de résignation et, de ce que le Dieu des catholiques s’est intitulé le Bon Pasteur, il ne s’ensuit pas qu’ils doivent se laisser égorger comme des moutons!

 

Reste l’Armée, la branche aux fleurs rouges, couleur du ruban de l’honneur et du sang des bataille; elle aussi souffre, se désagrège, et c’est d’elle surtout que je veux parler, car sa destruction méthodiquement poursuivie, c’est le finis Galliae. Or c’est bien méthodiquement qu’elle est sapée par la secte, car le but final poursuivi par la Maçonnerie a été brutalement énoncé par le F.*. Buisson, lorsqu'il disait au Convent de 1898 : « Après le service de deux ans, nous arriverons à la suppression pure et simple des armées permanentes. »


Le commandant montre l'action incessante et souterraine de la Maçonnerie dans l'armée, puis il conclut :


Et maintenant, je devine, je sens monter vers moi la réflexion qui est sur toutes vos lèvres : Comment l’armée a-t-elle pu supporter tout cela? Comment, parmi tant d’officiers injuriés, diffamés, fichés, ne s’en est-il pas trouvé une centaine au bas mot, s’inspirant des procédés vigoureux de la vieille armée ?

Que de fois, depuis l’apparition des fiches, des amis inconnus m'ont dit ;

« Nous nous attendions à voir au début une collection de gifles s’abattre sur des faces de vénérables. Comment expliquer cette passivité qui a fait dire à Urbain Gohier, le pire insulteur du corps d’officiers, que « l’armée était une école de lâcheté » ?

J’ai répondu, fort embarrassé d’ailleurs:

— Il est encore temps !

Puis j’ai essayé d'expliquer à ces bouillants amis de l’armée que les officiers sans fortune, attachés à la glèbe, obligés à se taire par le souci de l’avenir de leurs enfants, étaient la grande majorité chez nous, et qu’en vérité on ne pouvait attendre d'eux que la désapprobation silencieuse et digne. Qui leur tendra la main, en effet, s’ils se retrouvent sur le pavé, après un beau geste ? Qui se souvient, par exemple, pour les aider un peu dans la lutte pour la vie, de ces deux camarades, le capitaine Poirier et le lieutenant Portier qui, sans fortune personnelle, virent leur carrière brisée pour avoir mis leur conduite d’accord avec leur conscience ?

— Mais il y a les autres ?

— Les autres, il faut les diviser en deux catégories : les arrivistes qui se sont dit : « mettons-nous du côté du manche », lorsqu’ils ont vu que les délateurs ne risquaient même point la quarantaine dans les régiments. Puis les snobs qui, fortunés, mondains, considèrent la carrière des armes comme un sport et y cherchent, avec une occupation honorable, la considération jadis attachée à l’uniforme et un bout de ruban pour finir.

— Mais, parmi les fortunés, il y a des croyants.

— C'est encore vrai et nous finirions par opérer la sélection dont s’illustra jadis ce brave Gédéon, si ces croyants n’étaient comme engourdis. L’action les effraye, et l’idée de se mettre en avant les paralyse.

— Réveillez-les !

 

Qu’en dites-vous, mes camarades, et je m’adresse à ceux d’entre vous qui, libres et indépendants demain s’ils le veulent, ont en main le geste libérateur qui ferait tressaillir l’armée tout entière.

Ne trouvez-vous pas humiliant que ce soient des journalistes, des académiciens et des poètes qui soient obligés de prendre la défense d’hommes voués par goût à la carrière des armes ? Et n’allez-vous pas laisser aux résignés de l’Eglise le principe évangélique de « tendre l’autre joue »?

Ne savez-vous pas que le F.*. M.*. est lâche par définition, que son insolence actuelle est faite de notre incompréhensible patience et qu’il ressemble à ces enfants qui agacent un gros chien, de loin d’abord, puis de plus près, jusqu’au moment où le croyant édenté, ils lui passent une muselière à la gueule et lui attachent une casserole à la queue ?

Que parmi vous, dans chaque garnison empoisonnée par les fiches, un vaillant se lève, vengeur des camarades impuissants ! Un revers de gant dans la rue, dans un salon et cela suffit. Il n’est pas nécessaire de démolir un râtelier comme Syveton pour que le geste soit compris. Mais qu’au moins les Dupont se bornent, désormais, à poser des tentures et que les professeurs, comme ce Briois de votre ville, sachent que les fiches rapportent autre chose que des rubans violets !

Je causais hier avec mon camarade de Fraville qui a le courage d'aller provoquer le F.*. Berteaux en Seine-et-Oise, et je le félicitais de ce beau geste.

Très beau même, car il faut voir quelle pluie de faveurs, de rubans et de louis s'est abattue sur cette circonscription depuis que l’ex-chef de l’armée, qui a salué le drapeau rouge, a disposé de la manne ministérielle.

— Que voulez-vous, me dit le commandant de Fraville qui, on s’en souvient, dut quitter le poste d’écuyer en chef à Fontainebleau à la suite des incidents de Coblentz : que voulez-vous ? en voyant la passivité des camarades, je n’étais plus fier de mon uniforme !...

Et en l’écoutant je pensais à nos aïeux, les demi-solde, qu’a chantés mon ami d’Esparbès, et aussi à nos anciens d’Italie et de Crimée !

Et ]e me disais que s’ils pouvaient revenir seulement deux heures au soleil comme « l’Homme à l’oreille cassée », ils les emploieraient à chambarder le Grand-Orient!


Commandant Driant.


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