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Les heures terribles de Marcelle Driant

  • Photo du rédacteur: DRIANT Emile
    DRIANT Emile
  • 25 oct.
  • 9 min de lecture

Journal de la colonelle Driant du 22 février au 4 avril 1916


Marcelle Driant, l'épouse du Lt-colonel Driant, et fille cadette du général Boulanger, avait l'habitude de noter dans un petit agenda ses activités quotidiennes, les visites reçues et données, les courses effectuées, et petits événements... Son agenda de 1916, particulièrement intéressant, nous renseigne par quelles émotions et heures terribles elle a pu passer entre l'annonce de l'attaque allemande sur Verdun et l'annonce officielle de la mort de son époux.


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Février 22 Mardi - Ste Isabelle

Le communiqué nous apprend offensive des allemands sur Verdun justement à l'endroit où est Emile. Je ne sais quoi me dit avec force qu'il sera prisonnier.


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Février 23 Mercr. - St Florent

Le bois des Caures où est Emile a été pris par les Allemands, nous dit le communiqué.

Le communiqué du soir dit que nous avons repris en partie le bois des Caures.


Février 24 Jeudi - St Mathias

Toujours aucune nouvelle. Le bois des Caures est reperdu par nous.


Février 25 Vendr. - St Léandre

Toujours rien d'Emile. Ce silence est atroce.

Les Allemands gagnent du terrain. Ô mon Dieu, pourvu qu'ils n'arrivent pas à prendre Verdun. Je suis bien triste et bien inquiète. C'est une bataille colossale, une lutte sans précédent.


Février 26 Samedi - St Nestor

Situation mauvaise; on craint pour Verdun.

Emile est signalé "disparu", ce mot maudit qui veut dire tué ou prisonnier, nous sommes désespérés.

Et il paraît qu'avant hier on avait dit qu'il était tué. Nous écrivons, téléphonons partout; on ne sait rien rien. Tout le monde se met en quatre. C'est atroce on ne peut rien savoir. Le fils du Gal Renouard était avec Emile, on croit que presque tous les chasseurs sont tués ou prisonniers. On dit un tas de choses extraordinaires.


Février 27 Dimanche - Sexagésime

Les allemands sont arrêtés à peu près à 8km de Verdun; la situation est meilleure.

M. Thollon a su par des camarades qu'Emile a disparu (mardi ou lundi) quand les ennemis ont pris le bois des Caures pour la 1e fois. Puis quand nous avons repris ce bois, on a cherché Emile partout et on ne l'a pas trouvé; il n'a donc pas été tué; mais doit être prisonnier; sans cela on aurait retrouvé son corps. Cela nous console un peu, nous donne un léger espoir.


Février 28 Lundi - St Romain

Germaine a reçu une lettre de M. Vincent [Chef de corps du 56e BCP], blessé, à Limoges. Il ne nous apprend rien. Il a vu Emile pour la dernière fois le 22 et ne sait pas ce qu'il est devenu.

Nous remuons ciel et terre et n'arrivons pas à apprendre quoi que ce soit. C'est affreux.

L'avance des allemands est décidément arrêtée. Je crois bien qu'ils n'auront pas Verdun. Quel bonheur.


Février 29 - Mardi - St Arile

Une infirmière revenue de Verdun dit qu'un officier lui a dit qu'Emile avait pu s'échapper avec une centaine d'hommes et qu'il était en ce moment à Vacherauville; cela me semble trop beau pour être vrai; pourtant cette femme très bien paraît très sûre de son dire.

Rien d'autre de nouveau. Toujours même incertitude.

Les Allemands sont moins actifs dans leur feu. Ils n'avancent ni ne reculent.


Mars 1 Mercr. - St Aubin

Toujours rien de nouveau pour Emile; nous ne savons rien, rien.

Sur le front, rien de bien particulier; les Allemands ne reculent ni n'avancent.


Mars 2 Jeudi - St Simplice

Rien rien de nouveau, si ce n'est qu'un homme dit savoir par la télégraphie sans fil de la Tour Eiffel qu'Emile est prisonnier; mais est-ce vrai !! J'en doute hélas !...


Mars 3 Vendredi - St Marin

Rien rien de nouveau, si ce n'est qu'un prisonnier allemand a dit avoir vu un Lt Cel de chasseurs dont le signalement répond à celui d'Emile, fait prisonnier par ses camarades, mais cela est bien vague.


Mars 4 Samedi - St Casimir

Toujours rien, même incertitude


Mars 5 Dim. - Quinquagésime

Rien de nouveau. Nous avons la certitude que ce pauvre lieutenant Petitcollot [secrétaire du lt-colonel Driant] est tué; quel malheur


Mars 6 Lundi - Ste Colette

Le maire du 16e arrondt est venu ce soir me dire de la part du ministre de la guerre qu'Emile était tombé le 22 à 4h au nord de Beaumont. Ce mot tombé me terrifie; le maire pourtant me jure que cela ne veut pas dire tué. Mais j'ai si peur. Ce soir je n'ai plus d'espoir. Ce sont des officiers prisonniers à Frankfort qui l'ont dit et c'est la Croix Rouge qui a envoyé cette dépêche.

J'ai peur; les enfants, même Chérie [Marie-Térèse, fille aînée], ont moins peur que moi


Mars 7 Mardi - Mardi-Gras

Je suis un peu moins terrifiée qu'hier. La dépêche envoyée par la Croix Rouge de Berne a été reproduite dans la Libre Parole et sans le mot tombé. Il paraît qu'en Allemand tombé ne veut pas dire comme chez nous uniquement tombé au champs d'honneur, mais veut dire "mis hors de combat". Cela me rend un peu d'espoir.

Des lettres, des récits de soldats arrivent toujours; mais il y a du vague toujours, rien d'absolument sûr.


Mars 8 Mercr. - Cendres

Dieu! quel bonheur. M. de Kéroman [sous-officier 59e BCP], blessé et soigné dans la Meuse a fait écrire par son infirmière major Mme Tould à Mme de Bos pour m'être de suite transmis! Il sait de source sûre qu'Emile a été fait prisonnier et traité courtoisement par les ennemis. Il n'était que légèrement blessé.

Enfin! voilà presque une certitude. Il me semble que je revis !!


Mars 9 Jeudi - Ste Françoise

Un officier de passage à Paris a dit au Gal Niox qu'on avait vu Emile (sans doute avec une lorgnette) au milieu des Allemands qui l'entouraient avec beaucoup de respect. Oh ! Il me semble que maintenant vraiment nous pouvons être rassurés.

Et encore ce soir nous apprenons de source sûre par Louise et M. d'Aubigny que des prisonniers allemands ont vu Emile blessé à la jambe seulement. O mon Dieu, faîtes que ce soit vrai !


Mars 10 Vendr. - Ste Dorothée

Rien de nouveau


Mars 11 Samedi - Ste Lucrèce

Ai vu Scott qui venait de Verdun; mais ne m'a pas appris grand chose; un jeune chasseur et Emile se sont cachés dans un trou d'obus, puis le chasseur a quitté Emile et nous ne savons rien de plus.

A certains moments comme aujourd'hui je recommence à avoir grand peur. Un soldat blessé prisonnier a écrit hier déjà à sa femme, comment Emile ne m'envoie-t-il pas un mot !?!


Mars 12 Dimanche - Quadragésime [1e dim. de Carême]

Un soldat à Lyon dit aussi Emile légèrement blessé a été courtoisement reçu par les ennemis; mais pourquoi n'écrit-il pas ? Cela est bizarre


Mars 13 Lundi - St Euphras

Toujours même atroce incertitude.

A des moments j'espère, à d'autres je suis désespérée.

J'ai écrit au Carmel de Lisieux. La petite sœur Thérèse fait des miracles.

J'ai peur, j'ai peur.


Mars 14 Mardi - Ste Mathilde

Dépêche de Chauvigny :

Suivant renseignement Croix Rouge allemande transmis Ambassade Espagne, Emile figure pas encore liste prisonniers, blessés ou morts... Ceci sous toutes réserves informations ultérieures et sans responsabilité.

Cette dépêche ne dit pas grand chose pourtant ce doit être bon, sans cela L. de C. n'aurait pas télégraphié, il aurait simplement écrit.


Mars 15 Mercr. - St Zacharie

J'ai écrit au Carmel de Lisieux hier pour que la Petite Sœur Térèse de l'Enfant-Jésus nous fasse retrouver Emile.

M. de Kéroman est venu, il ne sait rien de précis; il a seulement entendu dire qu'Emile est prisonnier. Lui qui était si affirmatif dans ses lettres.

Ce soir suis très découragée.

Article atroce et inepte dans le journal, en contradiction sur tout ce que nous savons, mais bien douloureux tout de même.


Mars 16 Jeudi - Ste Octavie

Dépêche Chauvigny :

Ambassadeur d'Espagne télégraphie Cel D ne figure ni Croix Rouge ni centre informations ministère guerre.

Ah ! je ne comprends pas.

D'un autre côté, 2 soldats disent sûrs Emile prisonnier. Je leur écris.

M. de Varreux m'écrit qu'un neveu du Gal Parès a écrit à son père qu'il était prisonnier avec Emile. Oh ! Si cela pouvait être vrai ! prisonnier à Soldau. Que croire, que croire.


Mars 17 Vendr. - Ste Gertrude

Ce soir Le Temps donne un article atroce; des précisions; on dit Emile enterré près de Beaumont. Oh ! mon Dieu, mon Dieu. Mais c'est d'une source allemande. Et il n'y a que contradictions, des choses invraisemblables. Oh ! je crois que nous ne pouvons plus espérer. Et pourtant. Je ne sais plus, je ne sais plus.


Mars 18 Samedi - St Alexandre

On me dit d'espérer encore. Que croire, que croire ô mon Dieu ?!

Le Cne Seguin [commandant la 7e Cie du 59e BCP] que je ne connais pas du tout écrit à sa femme qu'il est en captivité et ajoute : apprends tout cela aux Driant. Pourquoi cette phrase? Nous qu'il ne connait pas du tout. Emile serait-il aux secrets, un capitaine le saurait-il et voudrait il nous le faire comprendre de cette façon ? Oh ! Si cela pouvait être !!!!


Mars 19 Dim. - Reminiscere [2e dim. de Carême]

Nous recevons diverses pistes. Beaucoup aboutissent au néant, d'autres surgissent. Un fils d'instituteur après avoir dit être prisonnier avec Emile, le nie; mais un autre homme l'affirme; nous allons essayer de le trouver.

Oh ! Quelle chose atroce que ces hauts et ces bas; c'est à en devenir fou


Mars 20 Lundi - St Joachim

On me dit avec raison que depuis que des journaux disent qu'Emile est prisonnier, il est étonnant que les journaux allemands ne le démentent pas.

On nous dit que le Roi d'Espagne personnellement va essayer de faire dire à Berlin si Emile est chez eux ou non.

Vraiment nous avons remué ciel et terre pour avoir la vérité, depuis bientôt un mois.


Mars 21 Mardi - St Benoit

La Croix Rouge de Genève m'écrit pour m'annoncer la mort d'Emile, mais en précisant bien que c'est d'après les dire des journaux allemands. Ce n'est donc rien de nouveau; mais tout de même quel coup au cœur en recevant cette lettre qui au premier abord avait si bien l'aspect de la chose irrémédiable.


Mars 22 Mercr. - Ste Léa

Isbled le sous-officier secrétaire d'Emile est venu diner avec nous. Il rapportait aussi les cantines d'Emile et de M. Petitcollot. C'est horrible de voir ces cantines; je n'ai pas le cœur de les ouvrir.

Isbled ne sait rien de particulier. Il a quitté Emile le 22 vers 2h partant pour porter un pli demandant des renforts. C'est un brave et excellent homme.


Mars 23 Jeudi - St Victorien

On fait savoir qu'Emile n'est pas sur la liste des prisonniers, blessés ou tués. Cette réponse est officielle et répond à la demande du roi d'Espagne.

D'un autre côté les journaux allemands donnent une version de la mort d'Emile; un soldat prisonnier français conte la même chose. Mais il y a encore nouvelles contradictions dans ce récit.


Mars 24 Vendr. - St Gabriel

Sœur Canard nous écrit que le fils d'un notaire du midi dit être prisonnier avec Emile.

Une dame que je ne connais pas et qui est de passage à Paris me fait téléphoner qu'elle connait un jeune homme prisonnier aussi avec Emile.


Mars 25 Sam. - Annonciation

Cette dame d'hier ne précise plus rien. Encore une piste à laquelle il faut renoncer.


Mars 26 Dim. - Oculi [3e dim. de Carême]

Une allemande [la Baronne Schrotter] m'écrit que son fils a vu Emile mort, a assisté, que sa tombe est bien ornée, qu'elle tient à ma disposition les médailles qu'Emile avait au cou, entre autres la médaille de la 1e communion de Chérie avec la date que cette dame me donne.

Il n'y a donc aucun espoir maintenant, aucune erreur.

C'est atroce.


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Mars 27 Lundi - St Amédée

On a écrit au Roi d'Espagne qu'Emile n'était sur aucune liste. Pourquoi, pourquoi ?

Je n'ai parlé de cette lettre qu'à Chérie encore. Je veux préparer les petits à l'affreuse vérité.

Jamais je n'ai souffert comme en ce moment et il ne faut rien laisser paraître; j'ai seulement dit pour expliquer mes yeux rouges que j'avais reçu de Chauvigny une lettre laissant bien peu d'espoir.

Cette médaille. Oh ! cela ne peut laisser aucun espoir.


Mars 28 Mardi - St Gontran

Nouvelle lettre d'un soldat que m'envoie un brave cheminot inconnu. Ce soldat affirme avoir vu Emile être fait prisonnier; il dit : ne croyez rien de ce qu'on dira; j'ai vu le Cel prisonnier et blessé; je puis l'attester. Hélas !

Faut-il croire encore !

La piste de Sr Canard était fausse comme tant d'autres !..

Je n'ai encore rien dit aux enfants.


Mars 29 Mercr. - St Jonas

Un soldat d'un des bataillons d'Emile écrit à sa femme qu'il a été fait prisonnier en même temps que le Cel Driant.

Oh ! ces deux lettres d'hier et d'aujourd'hui, et ne plus pouvoir espérer. Il faudrait un miracle ! Non, non c'est impossible, cette médaille au cou, il ne peut y avoir une erreur; mais pourquoi le gouvernement allemand cache-t-il sa mort ?

La Croix Rouge allemande vient d'écrire au Gal Renouard que son fils qui était avec Emile est mort.


Mars 30 Jeudi - Mi-Carême



Mars 31 Vendr. - St Benjamin



Avril 1 Samedi - St Hugues



Avril 2 Dimanche - Laetare [4e dim de Carême]



Avril 3 Lundi - St Richard

8h1/2 du soir. Je reçois une lettre de Poincaré accompagné d'une dépêche du Roi d'Espagne.

Tout est bien fini.

Alors je montre tout, la lettre de l'Allemande, puis la lettre de la Croix Rouge.

J'ai mal, j'ai mal.


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Avril 4 Mardi - St Isidore

Il arrive une nouvelle lettre de la Croix Rouge avec les dépositions d'un médecin et de deux chasseurs prisonniers qui ont bien expliqué tout : ils étaient là quand Emile est touché, à 3h le mardi ??

La dépêche que m'avait apporté le maire était donc bien exacte; seulement dans notre désir d'espérer encore nous n'avons pas voulu comprendre.


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A la Mémoire du Colonel Driant (Excelsior du jeudi 29 juin 1916)
A la Mémoire du Colonel Driant (Excelsior du jeudi 29 juin 1916)


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