Après avoir été rayé du Tableau d'Avancement pour le grade de lieutenant-colonel plusieurs années de suite, après avoir été sanctionné à plusieurs reprises pour avoir laissé publier ses notes dans la Presse, avoir dénoncé les délateurs au sein de l'Armée publiquement ou avoir fait célébrer une messe à l'occasion de l'anniversaire de la fête de Sidi-Brahim dans son bataillon, le commandant Driant prend sa retraite et quitte l'Armée le 24 décembre 1905. Il n'abandonne pas pour autant la lutte pour l'Armée et la Patrie. Il devient journaliste et rejoint le journal L'Eclair dans lequel il publie une première tribune le 31 décembre 1905 et continuera de publier régulièrement jusqu'au 04 août 1914 lorsqu'il reprendra du service dans l'Armée.
Un mot personnel
L'an dernier, à pareille époque, je flétrissais la délation devant mes officiers à la salle d’honneur
du 1e bataillon de chasseurs. C’était l’heure où l'armée, écœurée, bouleversée par la découverte des fiches et la trahison de son chef indigne, s'agitait dans toutes les garnisons, éprouvant un irrésistible besoin d’exprimer son dégoût.
J’eus tort, parait-il, de l’exprimer tout haut. Un général me dit alors : « L’armée doit être silencieuse : pourquoi parlez-vous ? et puisque nous jugeons, nous, vos chefs, qu’il faut accueillir tout cela par le silence du mépris, pourquoi semblez-vous, par votre indignation rendue publique, nous en faire un reproche et nous donner une leçon?»
Je n'ai voulu donner de leçon à personne. J’ai simplement, à une heure psychologique, à une heure grave pour l’armée, crié ma colère et mon dégoût.
Je n’ai pu les garder pour moi : affaire de tempérament!
Même au prix dont je viens de payer ce mouvement spontané, en quittant tout ce que j’aimais, tout ce qui avait été ma vie pendant trente ans, je ne le regrette point.
Et plaise à Dieu que nos chefs n’aient pas de leur côté à regretter un jour la longanimité dont ils ont fait preuve dans cette triste période de l'histoire de l’Armée !
Mais ce que je demande la permission d’établir ici, c’est que M. Berteaux ne m’a rayé du tableau
d’avancement que pour avoir flétri la délation.
Il ne le niera point, d’ailleurs, ayant commis la maladresse de l’écrire lui-même.
En décembre 1904, il m’infligeait d’abord un blâme pour les paroles que L'Eclair rappelait hier : je m’y attendais et crus alors la situation liquidée.
C’était mal connaître le franc-maçon, qui chez M. Berteaux a toujours percé sous le ministre.
Le 30 mars suivant, il écrivait à mon commandant de corps d’armée, qui lui rappelait m'avoir donné le n° 1 sur son travail d’avancement:
« J’ai éliminé du choix le commandant Driant parce que, dans une circonstance déterminée, il s’est départi du calme et de la mesure qui doivent toujours présider aux paroles d’un chef de corps. »
Sous une forme pharisaïque, cela veut dire : « parce qu’il a souffleté les mouchards militaires
de son mépris. »
Ce point est donc acquis, j’y tenais tout particulièrement.
C’est la délation qui a brisé ma carrière après tant d’autres.
Eh bien, soit, et le mépris manifesté en 1901, j’en adresse à nouveau l’expression aux officiers
délateurs, traîtres à leurs camarades : depuis André, l’inventeur du système, et Berteaux, son
hypocrite continuateur, jusqu'à Pasquier, le misérable délateur professionnel que nulle gifle vengeresse n’a pu joindre, tous sont méprisables et méprisés, et en quittant l’armée, je le leur redis au nom de tant de camarades frappés et trahis.
Pourtant, tous ne le sont pas au même degré. Il en est un, M. Percin, qui a trouvé le moyen, par l’hypocrisie de son jeu, d'atteindre le sommet de l'indignité; l’inconscience de cet homme, qui s’obstine à quêter les apparences du respect, et qui ne semblé pas se douter de ce que tous ses
subordonnés ou ses chefs éprouvent pour lui, stupéfie l’armée. Qu’on le nomme au commandement du 3“ corps, comme il semble l’espérer, et je lui traduirai, ce jour là, en échange du salaire déshonorant qu’il aura reçu des Loges, le dégoût qu’il inspire à tout officier français.
Je sors donc de l’armée parce que les délateurs sont au sommet et que les officiers signalés par les fiches n’ont plus rien à y attendre.
Ah ! certes, je ne prévoyais guère ce dénouement, lorsque, quittant le général Boulanger, mes quatre ans d'officier d’ordonnance terminés, j’étais si heureux de trouver au 4" zouaves un refuge contre la politique. Pendant dix-huit mois de ministère, j’en avais vu de trop près certains côtés répugnants.
M’y voici revenu cependant.
Une force me soutiendra : j’ai conscience d’être le porte-parole de milliers de camarades ou de chefs dont je connais l'indignation muette tempérée par le respect de la discipline.
Je sais qu’en luttant contre la bande maçonnique qui nous opprime, qui met le pied sur la gorge de l'armée, qui exploite sa passivité, je remplirai un devoir de bon Français et je remercie le vaillant ami qui depuis si longtemps mérite ce qualificatif, je remercie Judet (NDLR: Directeur du journal L'Eclair) de me donner place à ses côtés dans ce journal ami de l’Armée.
J’entends bien que, pour le monde officiel, cette affaire de la délation est enterrée. Tout récemment, M. Bouvier est resté silencieux devant l’évocation vengeresse de mou éminent camarade Guyot de Villeneuve.
Certes, nous savons tous qu’ils n’en veulent plus entendre parler ; nulle épine ne les gêne autant que celle-là.
Berteaux n'a-t-il pas affirmé, d’ailleurs, qu'il n'existait plus aucune fiche?
Par malheur la parole de Berteaux ne suffit pas. Comme la Franc-Maçonnerie dont il a été
l’exécuteur, il ment.
Car au-dessus de lui, au-dessus de M. Etienne dont cependant les intentions droites et réparatrices ne sont pas douteuses, il y a le GrandOrient, cette machine de guerre gigantesque
braquée sur l'armée et sur le pays, terrorisant les ministres et glorifiant les délateurs contre vents et marées.
C'est la Franc-Maçonnerie qui ordonne. C’est à elle qu’il faut s’attaquer.
Je vous entends encore dire: «Quel est ce chétif qui veut s’en prendre à ce colosse ? »
Je réponds : « Ce colosse n'est puissant que parce que nous le redoutons trop. Sa force est
faite de notre veulerie. »
Que tous ceux qui ont souffert de la Franc-Maconnerie se liguent contre elle, et le dégoût public
aidant, vous l’abattrons.
Car ses victimes sont légion.
Je dirai, dans un prochain article, le rôle de cette association de mouchards dans l armée, puis
le moyen de la vaincre.
Et je crie de toutes mes forces aux amis connus ou inconnus qui me lisent : Sus à la Franc-Maçonnerie!
Commandant Driant
Editorial d'Ernest Judet, Directeur du quotidien L'Eclair, précédant et introduisant le premier article du Commandant Driant dans les colonnes de son journal :
Un officier dans les luttes civiques
Le commandant Driant qui, pour la première fois, signe aujourd’hui de son nom un article de journal, me demande amicalement de le présenter aux lecteurs de L'Eclair. Ma tâche sera facile, autant qu’elle me remplit de joie et de fierté : car il est connu et admiré de tous ceux qui aiment notre jeune armée.
Parmi les chefs déjà entourés de la confiance due au talent, à l’énergie, au caractère, il était un exemple, un modèle. Excellent entraîneur d’hommes, il avait fait du 1e bataillon de chasseurs un corps d’élite, où le dernier des soldats, enflammé d’une ardeur généreuse, ne songeait qu’à justifier l’honneur d’y servir. Désigné à l'avancement rapide parle choix unanime de tous les généraux qui l'avaient vu à l’œuvre, il n’a pu être persécuté et frappé d’ostracisme que par un parti de trahison nationale et d’anarchie sociale.
Ses ennemis savent quelle puissance irrésistible exerçait son commandement loyal et dévoué, comment son geste et sa parole transformaient les contingents, leur donnaient l’amour du devoir et le culte des idées dont la France a besoin pour ne pas périr, dont il était le champion intrépide. Entre l’indépendance et la faveur officielle, qui, depuis quelques années, s’achète dans les bureaux politiques du ministère de la guerre par d'humiliantes complaisances ou des complicités suspectes, Driant n'hésita jamais. C’est pourquoi il a été puni de sa franchise et de sa fierté par les protecteurs de la délation. En butte aux haines aveugles des politiciens de sa région, il fut constamment sacrifié par André et Berteaux.
Il a pourtant tenu jusqu'au bout, jusqu'à la retraite qu'il a le droit de prendre après une carrière d’impeccables services et d’activité infatigable, dans la pleine vigueur de l'âme et du corps, désolé d’abandonner le poste qu'il avait choisi pour défendre le pays mutilé à l’heure du danger. Mais, bien qu'il n'ait pas cédé à son indignation en démissionnant avant terme, il n’entend pas se résigner ni céder à ses acharnés tourmenteurs la victoire qu'ils tentent toujours d’arracher à l’exploitation hypocrite de la discipline militaire. C’est pour mieux combattre qu’il sort des rangs, c’est pour être encore plus militant qu’il cesse d’appartenir à l’armée.
De tels tempéraments, impétueux et avides d’action, ne sauraient attendre avec un calme
flegmatique les événements réparateurs ; ils veulent en hâter la venue. Or, seuls, les véhéments sont capables de décider du sort de la lutte engagée entre les deux moitiés de la nation, ou plutôt entre une minorité meurtrière et une majorité qui s’est laissé déborder ou tromper. Il faut rétablir l’équilibre et gagner la partie vitale. Le commandant Driant s’est jeté hardiment dans la mêlée, et partout où il écrira, où il parlera, où il agira, tout le monde verra tout de suite que là est le bon chemin, là est la vérité, là est le drapeau !
Ernest Judet.
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