top of page
  • Photo du rédacteurDRIANT Emile

Dernières heures au Bois des Caures, par le RP de Martimprey (2e partie - 22 février 1916)

IMPRESSIONS DE GUERRE (suite)

AU BOIS DES CAURES AVEC LE COLONEL DRIANT Journées des 21 et 22 février 1916


22 février. Vers deux heures et demie du matin, une voiture automobile suivie d'une voiture hippomobile d'ambulance ont encore pu arriver jusqu'à nous et prendre nos derniers blessés. Les malheureux ont dû attendre bien longtemps, mais les communications vers l'arrière sont si difficiles! L'essentiel est qu'ils soient maintenant en sûreté.

Les quelques heures qui précèdent le lever du jour sont presque calmes; à peine de temps en temps un obus vient-il tomber sur la route ou à proximité de notre poste. Un des brancardiers revenant d'accompagner un blessé a cependant reçu quelques petits éclats sur le ventre; ils n'ont pas pénétré.

La neige tombe lentement, doucement; elle ne fond pas sur la terre glacée et, peu à peu, couvre de sa teinte blanche, uniforme et triste le terrain ravagé et bouleversé par l'affreux cyclone de la veille.

Dès les premières lueurs du jour et profitant du calme relatif qui règne sous les grands bois, je sors pour examiner les environs, et surtout me rendre compte de l'état de notre poste de secours. Je crains que sa toiture en bois n'ait bien souffert, car j'ai vu des planches brisées et hachées aux alentours et. jusque de l'autre côté de la route. De fait, je n'en retrouve presque plus rien, la maîtresse poutre et deux ou trois planches; tout le reste a été brisé et dispersé. Deux obus sont tombés en plein sur lui au cours du bombardement d'hier; en éclatant sur l'épaisse couche de pierres qui le couvre, ils y ont creusé deux petits entonnoirs superficiels. Je ramasse quelques-uns des débris pour faire un peu de feu. Ces pauvres planches, qui pendant tout l'hiver nous ont si bien préservés de la pluie, serviront maintenant à nous réchauffer un peu.

Pourrai-je dire ma messe ce matin? La chapelle souterraine est encombrée, beaucoup s'y sont réfugiés. Le cadavre ensanglanté du capitaine Laroche sera difficile à déplacer, et puis, où les Allemands sont-ils au juste dans le bois? D'un moment à l'autre, de graves événements peuvent surgir auxquels il faudra faire face instantanément; mieux vaut se tenir prêt.

Déjà l'artillerie commence à gronder assez loin à notre droite. Bientôt trois violentes explosions nous apprennent que trois projectiles de 210 viennent de tomber coup sur coup à proximité de nous. Le bombardement recommence. Je regarde ma montre, sept heures et demie, c'est, à quelques minutes près, l'heure à laquelle il a commencé hier. Les coups se succèdent maintenant, nombreux, serrés. C'est du 15o, du 210, de temps en temps du 3o5, qui broient de nouveau la forêt et nos tranchées sans interruption. On se croirait sous un gigantesque marteau-pilon. On a la sensation que chaque minute doit apporter le choc fatal qui nous réduira en bouillie. Que faire?. Attendre encore que cela passe et prier le bon Dieu qu'il nous protège comme il l'a fait la veille pendant neuf heures durant. J'envisage, non sans angoisse, mais avec le sentiment très net de toutes mes obligations, les terribles épreuves que cette journée nous prépare. Cette fois-ci, il ne restera plus rien dans le bois, car tranchées, abris et boyaux de communication, tout est anéanti plus qu'aux deux tiers déjà, par le bombardement d'hier.

Les Allemands, qui tiennent une partie de la forêt, peuvent savoir par notre fusillade du soir où se trouvent nos lignes encore intactes, et ils vont régler leur tir plus serré et plus efficace sur tout ce qu'ils croiront ne pas avoir détruit. C'est bien la fin nous n'échapperons que par miracle.

Tout en roulant ces pensées dans ma tête, je m'assure que la petite provision de pétrole pour la lampe est en lieu sûr et ne pourra être une cause d'accident; puis je dis au caporal-brancardier d'éteindre le feu autant que possible, afin d'éviter un incendie comme celui de la veille, au cas où notre abri serait bouleversé. A ce moment, nous sommes trois dans le poste de secours le médecin-major, le caporal-brancardier et moi. En bas, la chapelle est presque pleine; le petit corridor creusé en mine et donnant accès sur la route est bondé d'hommes qui s'y sont réfugiés. Irai-je au poste de commandement? Les obus tombent si dru dans cette direction, que je me le figure déjà complètement détruit et ceux qui l'occupent écrasés et broyés. Recommencer ma course d'hier sous la mitraille, c'est inutilement m'exposer à la mort, Il se peut aussi que, là-bas, il n'y ait pas encore de blessés, tandis qu'ici, d'un moment à l'autre, à cause du grand nombre de ceux qui sont massés dans la chapelle souterraine, nous pouvons subir un vrai désastre. Je reste donc pour le moment; après, on verra.

Vers huit heures et demie, un chasseur entre brusquement. Un obus a éclaté tout près de lui, l'a étourdi et à demi suffoqué; il vient chercher quelques soins et un peu de repos. Je lui cède ma place dans l'angle de l'abri près d'un contrefort en pierres qui fait pare-éclats et consolide notre refuge cet endroit; puis, je vais m'asseoir vers le milieu de la pièce.

Nous restons ainsi près de trois quarts d'heure, échangeant nos impressions. De temps en temps, je me lève pour voir les grosses explosions à proximité, ou refermer la porte que la poussée d'air des projectiles ouvre à chaque instant.

Soudain, une détonation sourde. Le mur s'effondre derrière nous; les poutres formant la toiture, brisées par le milieu, cèdent sous la masse de pierres qui les couvre et s'écroulent dans la pièce; une fumée acre, noirâtre, pénètre dans l'abri entr'ouvert. Le projectile qui vient de l'éventrer ainsi est tombé juste à l'angle où je me trouvais une heure auparavant. Le chasseur, à qui j'avais cédé cette place, est légèrement contusionné. La porte violemment brisée n'existe plus, et l'ouverture de sortie sur la route est obstruée par les débris des troncs d'arbres et les restes du mur en pierres sèches qui consolidait l'entré». Par le trou béant et irrégulier qui vient de s'ouvrir, l'air glacé entre maintenant, avec te bruit plus distinct des obus qui sifflent en passant et de ceux qui, sans cesse, tombent et éclatent avec fracas autour de l'abri. Bien qu'une partie en soit intacte, l'ensemble de toute sa grossière charpente est tellement ébranlé qu'une seconde explosion, même à proximité, suffirait pour l'abattre et nous écraser sous la couche de pierres qui le protège.

La position n'est plus tenable, et vraiment c'est providentiel que nous nous en soyons tirés à si bon compte jusqu'ici. L'obus de 210, en fonte, dont je trouve un débris au milieu des décombres, aurait pu tomber 1 mètre plus loin, juste au milieu de la toiture au lieu de frapper l'angle de l'abri, et nous ensevelir sous ses ruines.

Maintenant, il n'y a plus qu'à descendre, et le plus vite possible, par la trappe qui communique avec la chapelle souterraine. Je prends mon autel portatif, ma. musette et mon manteau; le docteur, sa trousse et ses ballons d'oxygène le caporal-brancardier ramasse tout ce qu'il y a là de paquets de pansements; puis, avec le chasseur contusionné et un peu gémissant, après avoir versé sur les braises du foyer les dernières gouttes d'eau qui nous restent, nous rampons sur les mains et les genoux jusqu'à la chapelle.

La place y manque presque complètement. Je fais démonter le petit autel sur lequel j'offrais chaque jour le saint sacrifice, et, pendant que mes compagnons s'instillent comme ils peuvent, avec des couvertures, là où il n'y a pas trop d'eau ou de boue, je m'asseois sur un tronc d'arbre renversé à côté du corps du capitaine Laroche; puis, je dis mon chapelet en attendant le coup qui viendra bientôt nous réduire tous en bouillie dans ce dernier refuge.

Et vraiment, pourquoi serions-nous plus épargnés que tant d'autres qui, maintenant, doivent être broyés ou ensevelis sous l'avalanche de fonte et d'acier? Humainement parlant, nous avons bien peu de chances d'échapper. Notre abri, bien qu'étayé par de forts madriers de bois et de petits troncs d'arbres, n'est pas suffisamment protégé pour nous garantir contre les gros projectiles 1 mètre et demi de terre vierge, 2 mètres tout au plus, au-dessus de son plafond, et aucune surface solide d'éclatement. Un obus de 210, comme celui qui vient de l'atteindre une première fois, suffirait à l'effondrer sur nos têtes. Si, au lieu d'un projectile de fonte à éclatement direct, c'est un obus de rupture en acier avec fusée porte-retard qui vient s'abattre sur cette voûte relativement peu résistante, nous serons broyés ou enterrés vivants pour la plupart. Si c'est un 3o5 qui nous arrive, c'est alors l'ensevelissement complet et l'écrabouillement affreux, sans qu'il subsiste grand'chose de nos malheureux restes. Pendant que je suppute ces tristes alternatives, d'une âme plutôt mélancolique, toujours assis à côté du cadavre du regretté capitaine, les obus continuent à pleuvoir autour de nous. Ils tombent si près que leurs violentes poussées d'air chaud me fouettent le visage. A certains moments, des éclats de pierres et de béton, arrachés à l'entrée du caveau, viennent tomber à mes pieds avec des petits éclats de fonte ou d'acier pénétrant par le puits, de 3 mètres de haut, qui nous sert de soupirail et d'accès au dehors, du côté du bois. C'est alors qu'on se dit le prochain est pour nous. Et on attend, résigné, mais le cœur serré cependant, la catastrophe finale.

Cette agonie morale dure encore cinq longues heures; puis, de nouveau, comme hier, le silence se fait presque complet. J'essaye de sortir par le soupirail, pour gagner l'abri bétonné où doit se trouver un médecin aide-major avec l'infirmier et savoir ce qu'ils sont devenus. A ce moment même, des obus de petit calibre et une grêle de balles viennent couper les branches tout autour de moi. Je rentre dans mon trou, auprès de mes compagnons. La circulation manque vraiment par trop de sécurité il faut attendre encore un peu.

La rafale est passée. « Aux armes » et chacun sort de sa cachette.

Bientôt la fusillade crépite dans le bois; elle nous entoure de ses feux, et deux ou trois blessés nous arrivent par la route. Je cours au poste bétonné où se tenaient d'habitude les médecins-majors et l'infirmier; il est vide. Les docteurs ont dû battre en retraite vers l'arrière, où se trouve un autre poste de secours plus sûr que le nôtre et dans lequel ils peuvent plus efficacement s'occuper des blessés.

Mais voilà que, subitement, nous sommes en plein combat. Les Allemands se sont avancés très près de nous par le ravin de la route de Ville, à la faveur de leur bombardement, et ils nous attaquent furieusement.

Le bruit court, assez incertain d'abord, que nous serions débordés à notre droite et à notre gauche et, de ce côté, même en partie tournés. Qu'importe? Ce qui presse surtout pour l'instant, c'est de s'occuper des blessés qui, de plus en plus nombreux, se dirigent d'eux-mêmes vers notre abri.

Avec le caporal-brancardier, notre résolution est vite prise « Vous savez faire les pansements, lui dis-je; installez-vous dans l'abri bétonné des médecins, moi, je m'occuperai de vous amener les blessés; avec l'aide des brancardiers, je les dirigerai sur votre poste ou bien je les ferai évacuer à l'arrière suivant la gravité de leurs blessures. » On se met immédiatement à l'ouvrage sans penser au danger.

D'ailleurs, nous ne sommes pas. seuls: les chasseurs de la section réfugiée dans la chapelle- souterraine font le coup de feu maintenant en face de nous, abrités par le talus de la route, devant le poste de secours. Un jeune sous-lieutenant se promène de long en large derrière eux, en plein milieu de la route; il donne ses ordres d'une voix forte et brève, recommandant à ses hommes de bien viser, de ménager leurs munitions, de ne tirer qu'à coup sûr.

Comme ils sont beaux, alors, les petits chasseurs pleins d'entrain et d'ardeur! Ils semblent avoir oublié l'épouvantable bombardement et ne pensent plus qu'à bien placer leurs balles. Ils sont là dans toutes les positions du tireur dissimulés derrière les buissons, à plat ventre. le long du talus, ou simplement et audacieusement à genoux sur le parapet même de la route, sondant longuement du regard, les taillis. par où l'ennemi s'avance, puis envoyant méthodiquement leur coup de fusil.

Je pensais intérieurement aux tableaux de Detaille et de Scott; quel beau croquis à prendre. Et je regrettais de n'avoir pas un appareil photographique à ma disposition, d'autant plus qu'un beau soleil avait, depuis quelques heures déjà, remplacé la neige du matin.

Cependant, les Allemands sont là, à 200 ou 300 mètres derrière les fourrés. Je viens d'apercevoir, au-dessus des branches, les fusées-signaux qu'ils envoient pour indiquer aux leurs les positions qu'ils occupent. Ils se sont terriblement avancés, puisque les voilà déjà à la lisière extrême du bois de Ville, ayant dépassé, à droite, la hauteur de notre poste de secours.

On nous amène un. blessé du poste de commandement. « Comment va le colonel Driant? demandai-je aux brancardiers qui l'avaient apporté. – II va bien. – Et le commandant Renouard? –Aussi. Et le capitaine Vincent? Aussi. – II n'y a pas eu de malheur, alors, pendant le bombardement? Non, rien. » Je respire, je craignais tant d'avoir à apprendre de ce côté-là une terrible nouvelle.

Quelques blessés se succèdent maintenant auprès de nous; très peu sont touchés par des éclats d'obus, la plupart viennent d'être atteints par des balles. Malheureusement, nous ne pouvons les abriter dans le poste de secours, dont l'entrée est complètement effondrée.

Je dirige les plus grièvement atteints sur l'abri bétonné des médecins-majors. Comme il ne peut contenir plus de cinq ou six hommes, je fais porter les autres dans la chapelle et dans un second abri, sur le bord de la route, épargné jusqu'alors et servant aux brancardiers. « Là nous garderons ceux qui ne peuvent être évacués facilement, dis-je au caporal-brancardier, et je ferai partir; par la route, tous ceux qui peuvent tant soit peu marcher.» Plusieurs, je crois, furent ainsi sauvés.

On dit toujours que nous sommes tournés; que la route, en arrière de nous, battue par les feux ennemis, ne serait même plus praticable. Est-ce vrai?

Il est trois heures quarante environ. A 5 mètres en avant de nous, les chasseurs continuent à tirer par-dessus les parapets de la route. A 200 mètres en avant, au delà de l'intersection des routes de Ville et de Flabas, une de nos mitrailleuses crache tant qu'elle peut; on entend encore la fusillade venant des tranchées du poste de commandement, à 300 mètres au-dessus de nous.

Pour la seconde fois, on m'avertit qu'un sergent du 56e est étendu sur le bord de la route de Ville, à 300 mètres d'ici environ. Je prends deux brancardiers et nous allons vers lui.

Le carrefour des deux routes est bouleversé par d'énormes trous d'obus. Là, le talus ne nous cache plus; nous sommes complètement à découvert, face aux Allemands dissimulés dans les buissons à moins de 200 mètres. A la garde de Dieu! Cependant, pas une balle ne vient dans notre direction. Nous avançons; nous voici entre les feux français et allemands. Les balles de notre mitrailleuse, en avant de laquelle nous sommes maintenant, mais en contre-bas, sifflent au-dessus de nos têtes et battent le ravin de Ville. Ce sont elles peut-être qui nous protègent contre le feu des Allemands, en les forçant à se dissimuler.

On peut encore avancer. Nous trouvons, dans un gros trou d'obus, sur le bord de la route, un jeune sous-officier du 56e la cuisse fracassée par une balle, et un autre chasseur qui essaye de le panser. Nous descendons dans l'entonnoir, prenons le blessé et le ramenons sur un brancard jusqu'au poste de secours. Si actif qu'il soit, le caporal Scherer est débordé de travail. Bientôt aussi la place va manquer dans l'abri. On met donc le blessé sur une poussette, et deux brancardiers l'emmènent par la grand'route. A 700 ou 800 mètres en arrière, ils trouveront probablement les médecins et ils le remettront entre leurs mains. Celui-ci est à peine parti qu'un jeune sergent du 56e, blessé à la jambe, mais légèrement, vient vers moi pour se faire panser. « Pouvez-vous marcher? Oui Eh bien, dis-je, dirigez-vous le plus vite possible sur l'arrière; on vous soignera là-bas, et ainsi vous vous sauverez plus sûrement, car je crois que bientôt on ne pourra plus passer. »

On amène sur un brancard le sous-lieutenant Debeugny, blessé, d'une balle au cou, près du poste de commandement, dès le début de l'attaque. Il est bien pâle. Je le fais entrer dans l'abri bétonné, toujours couché sur son brancard.

Derrière lui, porté sur un autre brancard, le sous-lieutenant Umbdenstock, du 56e, blessé à la jambe, vient prendre la dernière place disponible.

Tout en dirigeant vers l'arrière nos chasseurs blessés légèrement et faisant entrer dans la chapelle ceux qui ne peuvent marcher, je grignote un morceau de pain et une tranche de saucisson que m'offre charitablement le brancardier. Il est déjà quatre heures après midi et, depuis hier matin, sauf un petit biscuit de soldat, je n'ai rien mangé. Je me souviens alors que nous avions quelques provisions dans notre poste de secours. Y sont-elles encore? Je vais m'en assurer.

Malheureusement l'obus du matin est tombé là où se trouvait le garde-manger; tout est enseveli sous les décombres. Je finis cependant par retirer une « boule » de pain de dessous les ruines et je la fais remettre au caporal-brancardier. Faute de mieux, on sera bien aise, ce soir, d'avoir au moins cela à se mettre sous la dent.

Voici le jeune sergent blessé à la .jambe qui revient. « Mon Père, me dit-il, on ne peut plus passer sur la route, les Allemands nous tirent dessus. – Eh bien, mon brave, mettez-vous dans la chapelle en attendant, là, vous vous reposerez. » Dix minutes après, les deux brancardiers reviennent, également ils n'ont pu conduire leur blessé qu'à moitié chemin entre le poste de secours et l'endroit où devaient être les majors. Environnés d'une grêle de balles, dont quelques-unes ont brisé les rayons des roues de la poussette, ils n'ont eu que le temps de cacher le sous-officier blessé dans un trou d'obus, de le couvrir avec des couvertures, puis de revenir en toute hâte, rasant le talus de la route, reprendre leur poste. Le pauvre blessé aura dû être pris par les Allemands un peu plus tard.

La mitrailleuse qui est en avant de nous, à la bifurcation des routes, ne tire plus, et les obus ennemis tombent maintenant dans la direction d'où partaient ses coups. J'ai su un peu plus tard que les Allemands, ne pouvant avancer de ce côté, avaient amené un canon par la route de Ville et détruit, par son tir, l'abri où elle se trouvait.

Les chasseurs qui tiraillaient devant nous reçoivent l'ordre d'avancer du côté de la bifurcation Flabas-Ville, et je les perds de vue.

Soudain, accourt vers nous un brancardier du poste de commandement portant l'ordre du colonel Driant de faire évacuer tous les blessés sur l'arrière. A ce moment, on n'entend plus que quelques coups de fusil isolés et les tirs de barrage d'un canon allemand dont les projectiles, passant tout près de nos têtes, doivent tomber vers la sortie du bois, un peu au-dessus de la route. « Impossible d'évacuer les blessés, me dit le caporal-brancardier, nous n'avons que deux brancards, ils sont occupés par les deux lieutenants blessés, et même ceux-ci, par où les transporter puisque la route est coupée par les feux de l'ennemi depuis plus d'une heure peut-être? – Je vais voir moi-même le colonel Driant, dis-je au caporal, et lui expliquer notre cas ».

Un brancardier s'offre bravement pour m'accompagner. Mais l'entreprise est d'une extrême difficulté, tant le sol est creusé de trous énormes à peine distants de 2 ou 3 mètres les uns des autres et dont il faut contourner les bords; tant le terrain est couvert de branches et d'arbres entiers abattus formant un enchevêtrement presque infranchissable. J'essaye de courir dans ce dédale: c'est en vain. D'autant plus que, la veille, je me suis tordu un pied dans les boyaux de communication en courant sous les obus, et cela me gêne encore.

Arrivés à peu près à la moitié du chemin que nous avions à parcourir, j'aperçois, dans le bois à gauche, se dirigeant vers la lisière ouest et tournant le dos au poste de commandement, la fin d'une troupe de chasseurs marchant à la file indienne et dont le commencement disparaît au milieu des broussailles. C'est très probablement le groupe resté avec le colonel Driant et le commandant Renouard qui bat en retraite après nous avoir donné l'ordre d'évacuer nos blessés. Je le crois d'autant plus qu'à l'arrière de la colonne je distingue deux brancardiers portant leur brancard plié sur l'épaule; or, il n'y avait de brancards qu'au poste de commandement. Je regarde du côté de l'abri bétonné, dont je vois maintenant la façade, plus un mouvement, plus un homme. Ce sont assurément les derniers chasseurs qui quittent le bois. Inutile alors d'aller plus avant dans leur direction; ils sont trop éloignés déjà pour que je puisse les rejoindre, aller trouver le colonel et revenir auprès des blessés.

Je retourne donc sur mes pas et j'arrive au poste de secours en même temps que le lieutenant Spitz qui, avec cinq ou six hommes, s'en allait, de son côté, se défilant le long du talus de la route. « Ordre du colonel, me dit-il, de battre en retraite direction Beaumont, le plus vite possible, les Allemands arrivent. » Devons-nous alors traverser les immenses champs ondulés et découverts qui, sur l'espace de plusieurs kilomètres, nous séparent du village de Beaumont? En réalité, il n'y a plus que ce moyen de gagner l'arrière, puisque les troupes ennemies, qui nous ont tournés hier par Haumont, occupent la partie gauche du bois des Caures dominant la route en arrière et la rendent infranchissable. Il faut partir?. Et nos blessés?. Si vraiment les Allemands sont là, impossible de songer à en évacuer même un seul. Et si je les abandonne, quel pourra être leur sort?. Tout en faisant ces réflexions, je descends précipitamment dans la chapelle, j'y prends mon autel portatif et je remonte.

Le lieutenant Spitz, est toujours là avec deux ou trois brancardiers. Du même coup, je vois une partie de la lisière du bois de Ville déjà occupée par l'ennemi ses fusils et ses mitrailleuses en battent la sortie et tout le terrain qui s'étend vers Beaumont. Que faire?. Franchir le talus et prendre à travers champs, c'est, pour ceux qui voudraient s'échapper ainsi, se donner pour cible immanquable, pendant des centaines de mètres, aux balles allemandes. Rester là, n'est-ce pas la certitude d'être enveloppé par les masses ennemies que l'on devine?

A ce moment, un caporal du 59e traverse la route en courant vers moi et, se jetant dans mes bras « Mon Père, s'écrie-t-il, ne m'abandonnez pas! secourez-moi, je suis blessé! - Où es-tu touché, mon brave? – Là », dit-il en me montrant le flanc gauche, et il tombe à terre. Je m'assois à côté de lui. Il répète toujours «Ne m'abandonnez pas.» Je le console, l'encourage, et au moment où je veux voir sa blessure. « Ça y est, nous sommes fichus », dit le lieutenant. Je lève la tête. A 3o mètres de nous, une trentaine de soldats allemands s'avancent sur la route avec précaution. Les voilà en face du poste de secours. Ils ont aperçu notre petit groupe et sont prêts à faire feu. Fuir, c'est pour mes compagnons recevoir leur décharge presque à bout portant et, à supposer qu'ils les manquent, c'est tomber sous les balles des mitrailleuses, devant lesquelles il faudra passer 2o mètres plus loin.

Celui qui paraît commander ce petit détachement, voyant notre hésitation et, probablement aussi, distinguant des brassards de la Croix-Rouge crie et fait signe que l'on ait à se rendre. Le lieutenant Spitz qui n'a avec lui que cinq hommes et autant de brancardiers, ceux-ci naturellement sans armes, lève la main en l'air ainsi que ses compagnons. Les Allemands font, de la tête, des signes affirmatifs; ils abaissent leurs fusils et, par gestes, nous montrent que nous avons à passer de l'autre coté de la route et à aller vers eux.

J'étais toujours assis auprès de mon blessé sur le bord du talus. Voyant qu'il allait mal et qu'une brusque séparation allait s'imposer, je l'exhorte à offrir sa vie au bon Dieu et je lui donne l'absolution.

Mais voici que deux soldats allemands se sont avancés au milieu de la route presque en face de moi, ils m'ont même un peu dépasser. Ils se campent bien droits sur leurs jambes, épaulent leur fusil et commencent à tirer posément. Me levant à moitié, je regarde vers l'arrière, dans la direction de leur tir, et j'aperçois des chasseurs marchant en file. Ils étaient sortis du bois au-dessus de nous, coupaient la route à son changement de pente et battaient en retraite vers Beaumont. Ils se trouvaient à 100 ou 15o mètres à peine des deux Allemands, mais ne les voyaient pas, puisqu'ils tournaient le dos au bois des Caures. Quant à ceux-là, ils s'étaient ainsi avancés, afin de mieux tirer sur la petite colonne juste à son passage sut la route. Je ne vis cependant tomber personne. Mais ce spectacle, qui me faisait mal au cœur et devant lequel je restais là impuissant, ne dura pas longtemps. Les chasseurs durent s'apercevoir qu'on leur tirait dans le dos. A travers la fausse haie qui borde la route et derrière laquelle ils viennent de s'engager, partent des coups de feu; les deux Allemands roulent sur eux mêmes en plein milieu de la route, puis, comme foudroyés, restent étendus sans mouvement.

Dans le même moment, d'autres balles sifflent contre ma tête et viennent faire sauter la terre jusque sur moi; je n'ai que le temps de m'aplatir contre le sol, à côté de mon blessé, pour ne pas être tué par les balles françaises.

Les Allemands, devant cette rafale qui d'ailleurs est la dernière, se sont massés derrière le poste de secours sur l'autre bord de la route et, toujours nous tenant sous leur surveillance, ils nous font signe d'avoir à passer rapidement de leur côté.

Là, ils désarment les combattants. Ils me regardent d'un air un peu étonné, avec ma petite chapelle portative à la main, mon manteau sur le bras, mais me laissent tout ce que j'ai avec moi. Puis ils nous font avancer jusqu'à la bifurcation de la route de Ville et de Flabas, où nous rejoignons un autre groupe de chasseurs prisonniers comme nous. J'indique aux Allemands le blessé que j'ai laissé sur le talus de la route; ils me font comprendre qu'ils le prendront avec les autres. L'un d'eux même donne au caporal-brancardier son paquet de pansement pour bander la jambe d'un chasseur légèrement atteint qui vient de nous rejoindre. Enfin, lorsque les blessés du poste de secours sont à peu près tous rassemblés sur la route, ils nous emmènent à travers bois dans la direction du ravin du « Bourbier ». C'est très difficile et pénible pour nos malheureux blessés de marcher dans ces taillis, au milieu des trous d'obus et des restes de nos défenses de fils de fer presque complètement détruites à certains endroits, mais dans lesquelles leurs jambes s'embarrassent encore. Aussi avance-t-on très lentement et les uns derrière les autres.

Un soldat allemand, à l'air rébarbatif mais brave homme, auquel j'ai déjà dit quelques mots dans sa langue pour lui demander de s'occuper de nos blessés, marche près de moi. Il me regarde d'un air un peu étonné, puis finit par me demander mon âge. Sur ma réponse, il se met à rire en disant « Oh! vous êtes âgé. » Je lui explique alors que je suis l'aumônier des chasseurs et que la petite caisse que j'ai à la main contient ce qu'il faut pour le culte. Il me dit encore quelques mots, d'un air assez affable pour la circonstance.

Nous n'avons pas fait 3oo mètres dans le bois, que les obus français commencent à tomber sur sa lisière que nous venons de quitter. Ce sont des projectiles de petit calibre, du 75 très probablement, avec, çà et là, quelques obus à la mélinite qui viennent éclater tout près de notre colonne; et nous avons maintenant la perspective d'être tués par nos propres projectiles, après avoir échappé au bombardement allemand.

On nous fait stopper devant des taillis assez touffus, rendus plus impraticables encore par des réseaux de fils de fer qui n'ont pas été détruits. Les Allemands ont ouvert à la cisaille un petit passage au milieu de leurs entrelacements, et nous devons laisser passer devant nous plusieurs escouades qui, peu à peu, de tous côtés, s'avancent vers la lisière du bois, soit à la file, soit en tirailleurs. Tous sont bien habillés, équipés d'une façon qui paraît très commode et leur laisse une grande liberté de mouvements. Tous aussi ont à la ceinture deux ou trois grenades à manche et portent au bras gauche un brassard blanc, destiné probablement à leur permettre de se reconnaître dans la forêt et à éviter qu'ils se tirent les uns sur les autres.

Les troupes allemandes passées, nous continuons lentement notre marche. A 20 mètres à notre droite, un des leurs, qui paraît être un officier, est assis le dos appuyé contre le tronc d'un arbre près de petites tranchées fraîchement creusées.

Les obus français se rapprochent et nous encadrent. Les hommes qui nous conduisent paraissent un peu perplexes et ne pas trop savoir où nous mener dans ce bois touffu qu'ils ne connaissent pas. Nous stoppons encore, et cependant ce n'est guère le moment de s'arrêter. Je demande à mon Allemand ce que l'on compte faire de nous; il paraît embarrassé. « Où allons-nous? » lui dis-je. Il n'en sait rien. « Par où voulez-vous nous faire passer ? Choisissez, comme vous voudrez ». J'avais bien envie de lui dire de nous ramener à Vacherauville, mais ce n'était pas le moment de faire des facéties, il n'aurait peut-être pas goûté la plaisanterie.

Cependant l'officier commandant le. détachement se faisait indiquer la voie à suivre par un homme qui était du pays et, notre colonne rebroussant chemin, nous nous dirigeons à travers bois directement vers la route de Flabas.

L'officier, que j'avais aperçu assis contre un arbre, appelle alors à lui des soldats. Je les vois essayer de le soulever, mais il pousse des cris aigus il était blessé et incapable de bouger. Sur notre passage, çà et là, des cadavres gisent dans les taillis et près des trous d'obus. Nous arrivons au blockhaus à moitié détruit par les projectiles et d'où tirait notre mitrailleuse, il y a une heure; enfin, nous rejoignons la route de Flabas en avant des tranchées de tir de grand' garde un peu plus bas que nous l'avions quittée. Là, encore il nous faut attendre, la route est toujours barrée par les grands chevaux de frise placés en travers pour notre défense. Pendant cet arrêt, je m'approche du lieutenant Debeugny dont les porteurs ont déposé le brancard à terre. Il a soif, je lui donne un morceau de sucre imbibé d'alcool de menthe. Les Allemands battent les environs, inspectent les grands trous d'obus qui encadrent la route cherchant ceux qui pourraient s'y être réfugiés. Ils découvrent plusieurs cadavres, puis deux de leurs blessés et font signe alors à nos brancardiers et à nos chasseurs d'avoir à les transporter.

Les chevaux de frise sont enlevés et rejetés des deux côtés de la route; on se remet en marche.

Partout des trous larges et profonds bordent le chemin conduisant à Flabas et qui, lui-même, est presque intact. A gauche, près du chemin de la GG. IV où je venais si souvent, un entonnoir énorme au fond duquel j'aperçois le corps d'un officier. Il est tombé à la renverse, la tête en avant, et tient encore ses jumelles à la main. Un peu plus loin, avant la sortie du bois, un officier allemand, qui semble un officier supérieur, debout sur le bord de la route nous regarde passer. A 20 mètres derrière lui, c'est la sortie du bois donnant sur Flabas. Déjà la tranchée qui la fermait a été comblée, et la chaussée, remise en bon état, est maintenant plane et libre.

Aux alentours, des soldats allemands, dont beaucoup très jeunes, travaillent à organiser nos anciennes tranchées et à combler les entonnoirs creusés par les obus.

Nous voici hors du bois et nous descendons vers Flabas. Un caisson d'artillerie remonte la pente qui mène à l'angle du bois Carré, traîné par six forts chevaux. L'un d'eux a les naseaux emportés par un obus, mais il ne paraît pas s'en trouver plus mal. Cent mètres plus bas, sur le bord de la route, à l'angle du bois « Le Miroir », des artilleurs sont en train de démarrer une pièce qui, probablement, tirait sur nous tout à l'heure. Je suis à peine arrivé à sa hauteur, qu'un obus français passe en sifflant devant moi, rase la pièce et éclate à 2o mètres d'elle, de l'autre côté du chemin; puis une rafale de quatre obus à la mélinite va s'abattre à 100 mètres au-dessus de nous, près de l'endroit que les Allemands appellent « les tombeaux des Français. » Et de fait, en passant là quelques instants plus tard, je lis sur un poteau indicateur cette inscription Nach den franzosen Graben.

Ces explosions déchirantes de la mélinite paraissent impressionner nos gardiens. Ils ne sont pas plus en danger que nous cependant; et c'est nous peut-être qui recevrons la prochaine salve. On dirait, en effet, que les obus français ont juré de nous poursuivre jusqu'à l'entrée du village.

A gauche, mais un peu éloignée de la route, une batterie allemande, dissimulée dans un ravin, tire assez activement. Des projectiles français de gros calibre semblent la chercher, et vont éclater sur la croupe qui la domine.

Nous sommes, enfin, au bas du ravin dans lequel s'abrite le village de Flabas, ou plutôt les ruines du village de Flabas, car bien peu de maisons paraissent intactes. L'église, toutefois, ne semble pas atteinte. A droite, avant d'y arriver, un parc de génie avec planches, poutres, fils de fer, outils, et le reste, occupe un grand espace sur le bord de la route.

De petits crépitements attirent mon regard à 100 mètres plus haut vers la lisière du bois. Là, d'une masse noirâtre, surmontée d'une petite toiture légère en papier goudronné et que lèchent déjà quelques flammes, sortent du feu et de la fumée. Est-ce un dépôt de provisions incendié par nos projectiles? Pas une âme aux alentours. On se résigne, semble-t-il, à laisser le feu accomplir librement son œuvre de destruction.

Bientôt, en effet, au dernier détour de la route avant l'entrée du village, je vois s'élever de cet endroit et se répandre au-dessus du bois une large colonne de fumée noire.

Avant les premières maisons, sur le bord de la route, une belle fontaine coule à plein tuyau dans une auge de pierre; une inscription allemande indique que l'eau est potable. Voilà quarante-huit heures bientôt que nous n'avons bu. Avec quelques autres, j'aurai le temps de puiser de l'eau dans mon « quart »; mais il a été complètement aplati au cours des événements qui se sont si brutalement succédé et je dois emprunter celui d'un brancardier. On nous fait hâter le pas nous passons devant le village sans y entrer et nous prenons une route tournant à droite. Elle se dirige vers la plaine qui nous sépare encore des côtes de Romagne. Et maintenant, prisonniers de guerre, il nous faut quitter ces Hauts de Meuse dont nous avons assuré la défense pendant si longtemps et où tant des nôtres reposent pour l'éternité! J'ai le cœur brisé.

L'avenir nous reste néanmoins; et je garde, chevillé au cœur, le ferme espoir que tant de sacrifices, dont beaucoup furent si chrétiennement offerts à Dieu pour le salut de la France, lui assureront, malgré tout, le triomphe final.

Au pied de ces collines, de grosses pièces allemandes, semblables à des monstres accroupis çà et là derrière les buissons, tirent encore dans la direction que nous venons de quitter. Nous avançons sur une route rendue boueuse et visqueuse par le dégel de la journée; nous croisons beaucoup de caissons d'artillerie et de cuisines roulantes se dirigeant vers le front. C'est le ravitaillement des canons et des hommes.

Nous traversons deux villages. Le premier doit être Moirey; nous nous y arrêtons un quart d'heure et, pendant ce temps, nos brancardiers, restés un peu en arrière pour déposer leurs blessés au village de Flabas, ont pu nous rejoindre. Notre colonne, alors, prend une route à droite qui traverse de vastes champs et nous conduit au village de Romagne où nous arrivons vers le coucher du soleil. A l'entrée, dans une maison d'assez belle apparence, école ou mairie, est installée la « Kommandantur ». On introduit notre groupe, quatre-vingts hommes environ, dans le petit jardin attenant à la maison.

Des officiers et quelques sous-officiers allemands sont là et nous regardent. On nous fait mettre en rangs et on nous avertit que nous ne pouvons conserver ni couteaux ni grenades; que, pour faciliter le contrôle des objets dont nous sommes munis, nous devons les tenir à la main ou les placer dans nos casques, lorsque l'officier chargé de nous examiner passera devant nous. L'opération se fait ainsi avec beaucoup de correction et assez rapidement, l'officier passant dans les rangs et regardant dans les musettes ou les petits paquets de chacun, palpant quelquefois les habits, ou jetant simplement les yeux sur ce que l'on a dans les mains. Il m'était désagréable de subir cette inspection, car j'avais sur moi un certain nombre d'objets, puisqu'on m'avait tout laissé; il m'en coûtait aussi de déballer le contenu de ma chapelle portative que je tenais à la main. Ce désagrément me fut épargné. Lorsque l'officier arriva devant moi à l'extrémité du rang où je me trouvais, je lui montrai de suite ma chapelle portative et lui dis que j'étais l'aumônier des chasseurs à pied. Il s'inclina très respectueusement sans insister davantage.

Presque à ce moment, arrivait une autre colonne de chasseurs prisonniers. A leur tête, marchait le lieutenant Crampel, du 56e, et quelques autres officiers de ce bataillon. On leur fit subir la même visite, puis, de nouveau, on nous mit en rangs pour reprendre notre route.

Les officiers marchaient à part, tous ensemble en avant des hommes. Je me tenais avec les chasseurs, près des brancardiers. Au moment de partir, le lieutenant Crampel fit observer à l'officier allemand que j'étais l'aumônier et qu'il serait convenable de me placer avec les officiers.

« Certainement »; fit celui-ci. « A la condition, lui dis-je, que je ne serai pas séparé des hommes. Vous les retrouverez tout à l'heure. »


RP Gérard de MARTIMPREY, sj

Source: BNF / Gallica

Etudes, Revue fondée en 1856 par des Pères de la Compagnie de Jésus

54e année - tome 151e de la Collection,

Avril-Mai-Juin 1917

68 vues0 commentaire
bottom of page