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L'épopée du Bois des Caures (par l'Abbé P. Homant, 1982)

  • Photo du rédacteur: DRIANT Emile
    DRIANT Emile
  • 22 févr. 2024
  • 21 min de lecture

Conférence faite par l'Abbé Pierre HOMANT, Chapelain de l'Ossuaire de Douaumont, Colonel Honoraire, le 28 janvier 1982 aux élèves de l'Ecole Militaire d'Angers, et le 28 février 1982 aux Anciens Combattants de la R.A.T.P. à l'occasion de leur pèlerinage annuel, s'appuyant sur les récits personnels du Capitaine SEGUIN et du Médecin-Général MAGNENOT, et l'ouvrage du Lt-Colonel GRASET "Le Premier Choc de la 72e Division".


LES COMBATS DU BOIS DES CAURES

(21-23 février 1916)


*** AVANT-PROPOS ***


Lorsque le 21 février 1916 se déclencha l'attaque Allemande sur la rive droite de la Meuse pour prendre Verdun, la demi-brigade de Chasseurs à Pied, comprenant les 56e et 59e B.C.P. renforcés d'un Bataillon du 165e R.I., tenait, sous les ordres du Lieutenant-Colonel DRIANT, le Centre de Résistance du Bois des Caures, situé entre le bois d'Haumont-les-Samogneux, à l'Ouest et le bois de l'Herbebois à l'Est.


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LE CHEF

Le Lieutenant-Colonel DRIANT est né le 11 septembre à Neufchâtel, dans l'Aisne. Il fit ses études au Lycée de Reims. Entré à Saint-Cyr en 1875, il en sortit en 1877 avec le n° 4.

Lieutenant en 1883, Capitaine en 1886, Instructeur à Saint-Cyr en 1892, il termina, sur sa demande, sa carrière militaire en 1905, alors qu'il commandait le 1er B.C.P. .

Elu député de Nancy en 1910, il sut prendre à la Chambre des Députés la place qui lui était due et sa compétence dans les questions militaires le fit désigner comme membre de la Commission de l'Armée.

Entre temps, écrivain de valeur, il fit paraître sous le nom de Capitaine DANRIT, de nombreux ouvrages, pour la plupart prophétiques, et dont les plus connus sont : La Guerre de demain, La Guerre de forteresse, La Guerre en rase campagne, L'Invasion noire, etc...

En 1914, à la Déclaration de Guerre, il sollicite un Commandement et fut mis à la tête du Groupe des 56e et 59e Bataillons de Chasseurs à Pied.

Il sut bien vite conquérir l'estime et l'affection de tous. Peu ménagé de sa personne, toujours en tête de ses Chasseurs dont il partageait la vie, il ne cessa de rester en liaison avec la Commission de l'Armée qu'il ne cessait de tarabuster, de secouer par des observations et des suggestions judicieuses.

Un de ses subordonné a dit de lui : "Avec un Chef si prodigieux nous étions tranquille. Calme, affable, courageux, il était bienveillant pour nous tous qu'il appelait ses enfants. C'était un grand Chef, aux qualités humaines exceptionnelles."


*** LA SITUATION AU BOIS DES CAURES ***


Depuis le 8 février, le 59e Bataillon avait relevé, sur la ligne de feu, le 56e, retourné en réserve dans la région de la Ferme de Mormont, située au Sud-Ouest.

Le 59e Bataillon était commandé par le Commandant RENOUARD, Officier Breveté d'Etat-Major, Officier très brillant, d'une intelligence et d'une culture rare qui avait su s'imposer en très peu de temps par son sens du Commandement, son autorité et sa valeur personnelle, assurant au Bataillon un regain de jeunesse et d'activité.

Les effectifs du Bataillon, composés en majeure partie de gens du Nord, de l'Aisne, de l'Est, pour la plupart des pays envahis et privés de nouvelles des leurs, formaient un contingent brave, sérieux, agrémenté et pimenté par des parisiens débrouillards et désinvoltes. Autrement dit, c'était un Bataillon composé de braves gens et de garçons simples, ennoblis par leur formation et leur esprit de Corps, cet esprit "Chasseur" qui allait faire merveille, tellement ils furent légion à bien se battre, empêchant ainsi l'ennemi à remporter le succès rapide escompté.


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LE DISPOSITIF

Sur un front de 1.000 mètres, s'étendant de la route de Vacherauville - Flabas (incluse) à la route de Vacherauville - Ville-devant-Chaumont - Damvilliers (exclue) et sur une profondeur de 2.500 mètres, le dispositif du Bataillon était le suivant :


a) Sur la Ligne des "S" (Surveillance)

Les premières lignes étaient occupées, en partant de la gauche vers la droite :

  • par la 7e Cie (Capitaine SEGUIN), installée à cheval sur la route de Vacherauville - Flabas dans le bois Carré et les lisières N-O du bois Le Comte, face au bois de Miroir et au bois Juré.

  • par la 9e Cie (Lieutenant ROBIN), installée aux lisières Nord du bois Le Comte, face au bois Le Chauffour.

  • par la 10e Cie (Capitaine VIGNERON), installée aux lisières N-E du bois Le Comte, face à Ville-devant-Chaumont.

b) Sur la ligne des "R" (Résistance)

Cette ligne est située à 800 mètres en arrière, à hauteur de l'embranchement de la route Vacherauville - Flabas et la route Vacherauville - Ville-devant-Chaumont - Damvilliers. Il s'y trouvait :

  • la 8e Cie (Lieutenant SIMON)

  • le P.C. du Commandant RENOUARD et du Colonel DRIANT

  • l'infirmerie et poste de secours

  • le dépôt de munitions$

  • le Parc à Outils et la Section Pionniers (S/Lt LEROY)

Les pelotons de mitrailleuses, sous les ordres du S/Lt BERGER et du Prêtre-Adjudant BRUNI, étaient répartis dans les unités.


*** L'ATTAQUE DU BOIS DES CAURES ***


Depuis le 12 février, l'ennemi qui en raison du mauvais temps, pluie et bourrasques de neige, empêchant toute observation et qui s'était abattu sur la région dans la nuit du 11 au 12, reportait de jour en jour le moment de lancer son assaut, attendait un temps plus propice.

Dans la soirée du 20 février, il y avait pleine lune, les vents tournèrent et soufflèrent du Nord-Est laissant ainsi prévoir une période de beau temps qui allait commencer. Aussi, le Commandant Allemand jugea-t-il que c'était là une occasion propice et que l'ordre de donner l'assaut pouvait être lancé.

Les Chasseurs de DRIANT allaient donc subir l'assaut des troupes de la 21e Division Allemande (41e et 42e Brigade) faisant partie du XVIIIe C.A.


*** JOURNEE DU 21 FEVRIER ***


C'est donc le 21 février, avant 7 heures (8 heures à l'heure allemande) que le Général SCHABEL, Commandant l'Artillerie Allemande et que les Chefs de Corps d'Armée reçurent l'ordre de faire ouvrir le feu. A ce signal, depuis la Meuse jusqu'à l'Herbebois, l'horizon s'alluma et des milliers de canons commencèrent à gronder.

Dès le premier obus, personne ne douta de ce qui arrivait et chacun s'en fut sur ces emplacements de combat.

Ce jour du 21 février, DRIANT qui n'avait pas quitté son bois depuis le 15 février avait eu un certain présentiment sur la proximité de l'attaque allemande et, lorsqu'à 6 heures il quitta le P.C. de la Ferme de Mormont pour se rendre à son P.C. du Bois des Caures, il s'était défait de son alliance et de divers objets personnels qu'il remit à son secrétaire, le Chasseur HOUIN, en le priant de les faire parvenir aux siens en cas de malheur.

Arrivé au Bois des Caures vers 7 heures, il était à une centaine de mètres en avant de son P.C., donnant ses instructions au S/Lt LEROY, son Officier Pionniers, pour les travaux à exécuter dans la journée, lorsque les premiers obus annonçant l'orage éclatèrent.

"Le Colonel, écrit le Colonel GRASSET, lève la tête, regarde le S/Lt LEROY et sans rien lui dire d'autre, gagne lentement son abri. Les hommes dispersés dans leurs ateliers, se terrèrent où ils purent : dans les boyaux de communications, dans les trous d'obus. C'était un ouragan de mitraille. Les explosions ébranlaient l'air. Le sol tremblait et s'entrouvrait; on eut dit que le Bois des Caures était miné. de grosses branches tombaient, hachées par les schrapnels et les éclats d'obus. Des arbres atteints de plein fouet par des projectiles monstres, étaient fauchés et projetés vilement les uns sur les autres. On n'avait jamais vu pareille concentration de moyens de destruction sur un objectif aussi limité. Le sol tremble, les gaz lacrymogènes rendent l'atmosphère trouble, chlorée, irrespirable."

"Les abris, dit également dans ses souvenirs le Médecin Auxiliaire des Chasseurs, le Docteur MAGNELOT, sont écrasés, nivelés. Dehors, il neige, il fait froid. Des cris, des plantes, des appels surgissent de toute part. Les Chasseurs réfugiés dans de précaires abris de rondins se chauffent tant bien que mal avec des braseros. Il y a de nombreux blessés et certains sont brûlés dans leurs abris effondrés. De nombreux blessés arrivent au Poste de Secours. Sous cette avalanche, les hommes restent figés, silencieux, tassés, courbant le dos et tressaillant aux sifflements aigus, chutes proches de projectiles de tous calibres. Abrutis par ce bruit infernal, il y a de quoi devenir fou. On a le temps de penser et ces pensées ne sont pas gaies : on pense à tous ceux qu'on aime, à sa famille, femme, enfants, à la vie heureuse d'autrefois, à l'incertitude d'aujourd'hui. La réaction de chacun est différente. Certains, sur lesquels on ne comptait guère, vous surprennent par leur calme et leur détermination; d'autres au contraire, qui étaient les plus expansifs, apparaissent plus accablés. Mais, tout à l'heure, l'attaque déclenchés, tous ces hommes, délivrés de cette hantise, se retrouveront tous debout, face à l'ennemi."


A 10 heures, alors que le bombardement fait toujours rage, un obus de gros calibre (du 210...) tombe sur le P.C. du Colonel provoquant un effondrement partiel, blessant et tuant beaucoup de monde.

Ecoutons encore le Médecin MAGNENOT nous dépeindre l'ambiance de ce moment. "Avec le brave Caporal-Brancardier GUGENBERGER et deux infirmiers, écrit-il, nous allons les secourir, parcourant les 400 mètres qui nous en séparent dans un paysage lunaire que nous ne reconnaissons pas, parmi tous ces troncs d'arbres amputés, enchevêtrés et ces trous d'obus se touchant remplis d'eau, de neige et de cadavres... image de fin du monde. En arrivant, nous trouvons la moitié de l'abri aplatie, avec des morts et des blessés que nous soignons de notre mieux. Le Colonel est là, s'inquiétant de ses blessés... Le Lieutenant PETITCOLLOT, Adjoint du Colonel, est grièvement blessé. Il a été atteint d'une fracture de la colonne vertébrale et son état est jugé désespéré. Ont été également grièvement blessés le Lieutenant d'Observation d'Artillerie TILLET et de nombreux Chasseurs dont l'agent de liaison WARRET. Le Lieutenant BREUILLARD du 56e qui se trouvait en liaison au P.C. a été tué, ainsi qu'une dizaine de Chasseurs.


Vers 17 heures, la diminution d'intensité du bombardement et l'allongement des tirs ne peut laisser présager l'imminence de l'attaque d'infanterie.

L'alerte est donnée par les guetteurs et les Chasseurs bondissent de leurs abris, de leurs trous individuels ou de ce qu'il e reste et se prépare à recevoir l'ennemi. Celui-ci, qui progresse par bonds successifs s'attaque aux tranchées et aux différents P.C. On en est maintenant à la lutte d'homme à homme et les coups de feu éclatent partout, les grenades entrent en scène, les mitrailleuses aboient par salves multiples. C'est maintenant au tour des Chasseurs de lutter. Voyez-les à l'œuvre :


A la 8e Compagnie, le Capitaine SIMON est à son poste. En surveillant à la jumelle le secteur qui lui est confié, il aperçoit et tente d'identifier une colonne d'une quinzaine d'hommes qui longent tranquillement la lisière du bois entre la gauche de la 7e Compagnie et la Résistance R3, tenue par le 165e R.I. Ces hommes sont sans fusils, portent des brassards et la couleur terreuse de leurs capotes ne permet pas d'en déterminer la nationalité. Le calme avec lequel ils avancent vers nos lignes, alors que la fusillade fait rage sur le front des 7e et 9e Compagnies, les fait prendre pour des brancardiers égarés. C'est pourquoi on n'ose tirer, et il faudra que ceux-ci attaquent à la grenade pour passer aussitôt à la riposte.


A la 9e Compagnie, où le Lieutenant ROBIN a pris immédiatement toutes ses dispositions pour tout ce qui subsiste de ses hommes possédant encore un fusil et des grenades, on arrête la première vague allemande à la baïonnette, à coups de crosse, au couteau... Les communications avec le P.C. n'existent plus et la liaison au moyen de coureurs est dangereuse et presque impossible, beaucoup d'agents de liaison ne sont pas revenus et même ne reviennent pas...

Mais , galvanisés par leur Chef qui se bat à leur tête, le fusil à la main, les Chasseurs résistent et luttent au corps à corps avec courage : tel le Sergent COSYNS qui, à lui seul, abat 7 Allemands. Cependant les blessés et les morts sont nombreux. ROBIN lui-même est blessé au pied par un éclat. Le Chasseur HENIN a la tête écrasée par un coup de crosse alors qu'il défendait seul l'entrée d'une tranchée. Le Sergent BERTHE a la mâchoire fracassée par une balle. Le Chasseur DUBOIS a le ventre ouvert d'un coup de baïonnette.

Mais l'ennemi est stoppé, et il sera même rejeté en partie sur ces positions. Celui-ci, bien que pris sous les feux croisés des 7e (Capitane SEGUIN) et 10e (Capitaine VIGNERON) Compagnies, réussit néanmoins à s'infiltrer par les ailes.


A la 7e Compagnie, le Capitaine SEGUIN, lui aussi se bat courageusement avec ses hommes. Ecoutons le témoignage que lui-même en a donné après son retour de captivité :

"A 17 heures, le bombardement de nos positions cessa, quelques obus de petit calibre, seuls, continuèrent à tomber dans les environs. Je fis aussitôt sortir tout le monde des abris et donnai l'ordre à mes feux chefs de sections d'occuper avec leurs Chasseurs valides, leurs tranchées. La violence du feu avait été telle qu'en sortant de nos abris nous ne reconnaissions plus le paysage auquel nous étions habitués depuis 4 mois : il n'y avait presque plus d'arbres debout, la circulation était très difficile à cause des trous d'obus qui avaient bouleversé le sol. Les défenses accessoires étaient fort endommagées, mais il y avait un tel enchevêtrement de fils de fer et d'arbres que le tout constituait un obstacle sérieux pour les assaillants. Les boyaux de communications n'existaient plus. Les tranchées, par contre, avaient été fort touchées mais étaient encore utilisables et elles furent aussitôt garnies. Les armes des morts et des blessés furent aussitôt distribuées, mais malgré cela une partie de mes Chasseurs était désarmés et ces braves venaient me le dire, je n'y pouvais rien, je leur ordonnai de combattre à la grenade, car les grenadiers purent dégager leurs caisses de grenades. D'ailleurs les Allemands avançaient par petits groupes, aussi je donnai l'ordre de bien faire attention et de ne tirer qu'à coup sûr pour éviter d'atteindre les quelques Chasseurs qui auraient pu s'échapper de la première ligne, d'autant plus que les uniformes des assaillants étaient presque semblable à notre "bleu horizon foncé". L'ennemi en outre portait au bras gauche un brassard blanc, ce qui augmenta notre confusion car beaucoup de Chasseurs pensaient voir des brancardiers égarés en première ligne. Ces soi-disant brancardiers ouvrirent le feu sur nous. Je donnai l'ordre d'exécuter des feux par salves pour ménager les cartouches et pour montrer à l'ennemi que la position était encore fortement tenue. A plusieurs reprises, les assaillants reculèrent et cherchèrent à nous déborder, mais sans succès. Je demandai inutilement un barrage d'artillerie en me servant de mes fusées signaux, notre artillerie resta muette.

Ne sachant pas ce qui se passait sur ma gauche, j'envoie aux renseignements le brave Chasseur DUMONT. DUMONT part, un de ses camarades qui avait entendu des bruits suspects de ce côté lui dit au passage : "Tu ferais bien de ne pas aller jusqu'aux tranchées, la fusillade a cessé de ce côté, les boches doivent y être. " Le brave garçon n'écoute rien : "Le Capitaine, dit-il, m'a envoyé pour voir moi-même ce qu'il y a, j'y vais. " On ne le revit plus.

Entre temps, j'avais appris par des survivants échappés de la première ligne que nos groupes de guetteurs avaient été forcés; l'ennemi, le bombardement fini, avait sauté dans les boyaux antennes et les occupants avaient été tués ou faits prisonniers après un combat à la grenade, les fusils ayant été mis hors de service par suite du bombardement."

Dans le Bois Carré, à l'extrême gauche de notre position et en liaison avec le 165e R.I., le Sergent LEGER sortit une des deux mitrailleuses qui avaient été épargnée par le bombardement et après avoir aménagé tant bien que mal un emplacement découvert (l'emplacement bétonné ayant été complètement démoli) commença à tirer sur une ligne de tirailleurs qui débouchait du Bois du Miroir et s'avançait vers le Bois Carré. L'avance fut enrayée aussitpot et pendant environ 1/2 heure, 3/4 d'heure, la pièce put fonctionner arrosant le terrain devant elle et sur sa droite. Mais, l'ennemi ayant pénétré par le ravin, entre le Bois des Caures et le Bois d'Haumont, les servants de la mitrailleuse et les défenseurs du poste furent tournés sur la gauche. Un combat à la grenade s'engagea dans les tranchées et les boyaux. Après avoir épuisé leurs 40 grenades, les défenseurs furent tués ou blessés : le Sergent LEGER tomb grièvement blessé et perdit connaissance. Cet héroïque épisode avait tellement frappé l'imagination des Allemands que ceux-ci le relateront dans leurs journaux pour qu'il soit donné en exemple à la jeunesse."


La conduite du Sergent LEGRAND est également à citer :

Celui-ci, resté avec 6 Chasseurs, n'a plus que deux fusils en état de servir. A ceux qui regardent en arrière, il crie : "Nous avons reçu l'ordre de tenir jusqu'au bout, nous avons des grenades et des baïonnettes, il faut rester là..." Un seul d'entre eux, l'héroïque et jeune Caporal Jules HUTIN, venu rejoindre son frère, le Sergent Paul HUTIN, déjà blessé et retenu sur le front à l'Etat-Major du Colonel DRIANT, sera ramassé par les Allemands le crops lardé d'une douzaine de blessures. (Celui-ci résistant en 1944 devait mourir d'épuisement dans un camp de représailles nazi).


*** DURANT LA NUIT DU 21 AU 22 FEVRIER ***


Il neige à gros flocons. Profitant d'un calme relatif, on évacue les blessés. Le Colonel DRIANT prend contact avec ses compagnies de l'avant et leur apporte son réconfort. Il se rend chez le Lieutenant ROBIN qui a subi une grosse partie de l'attaque mais qui a réussi à reprendre partout le terrain perdu.

L'ennemi occupé à organiser sa position et surpris par la vigoureuse offensive qu'il pensait hors de combat évacue rapidement la ligne de soutien (ligne des S) libérant une douzaine de Chasseurs prisonniers.

Le Colonel félicite ROBIN et ses Chasseurs, sans cacher la gravité de la situation.

Avant de quitter ROBIN, le Colonel le regarde longuement et lui dit : "Mon pauvre ROBIN, la consigne est toujours de rester là, il faut tenir... Peut-être nous retrouverons-nous?" - Espoir bien incertain qui ne devait pas, hélàs! se réaliser.

On en profite également pour renforcer la ligne de défense constituée par la ligne des "R" en faisant appel au 56e Bataillon, commandé par le Capitaine VINCENT, et qui est en réserve aux alentours de la Ferme de Mormont.

Dès 21 heures, tous les éléments disponibles du 56e occuperont toute la ligne des "R" :

  • le seul peloton disponible de la 7e Cie avec le Capitaine BERWEILLER, entre R2 et R4 ;

  • la 8e Cie (Capitaine HAMEL) disloquée, se tenant prête à renforcer les grand'gardes au moment du besoin, avec le peloton du S/Lt PLUNTZ, prêt à appuyer la Cie ROBIN, la section du Sergent SIX, la Cie SEGUIN et la section du S/Lt UNDENSTOCK restant disponible, avec le Capitaine, à R2 (P.C. DRIANT) ;

  • la 9e Cie (Lt QUEREL) était elle répartie dans les tranchées entre R1 et R2 (peloton du S/Lt DRECQ) et dans les tranchées au nord de R2, d'où elles battent la route de Flabas (sections des S/Lts LOISEAU et MUNCH).

  • En particulier le Centre de Résistance de R2 où se trouve le Colonel DRIANT, est défendu par 6 sections (3 sections de la Cie SIMON du 59e et 3 sections du 56e) et les 2 sections de pionniers du S/Lt LEROY du 59e.


*** LE 22 FEVRIER ***



Dès 7 heures du matin, un bombardement aussi formidable que celui de la veille se déclenche, arrosant la ligne des "R" d'obus de gros calibres et les tranchées de première ligne et la ligne des "S" avec de grosses torpilles dont les effets sont saisissants.

Sous les impacts de celles-ci, les plus gros arbres étaient coupés et projetés violemment, des vides d'un rayon de 20 mètres étaient créés dans les réseaux de fil de fer dont les piquets étaient comme soufflés, les abris se fissuraient sous les secousses ou étaient complètement écrasés si l'engin tombait sur eux.

Ce bombardement durera jusqu'à midi, obligeant les Chasseurs à se terrer de nouveau dans leurs abris ou à chercher refuge dans les entonnoirs.

"A chaque explosion proche, écrit le Médecin-Auxiliaire MAGNENOT, on étreint la terre, on se sent tout petit, tout nu, vulnérable...

Chaque instant nous amène son contingent de blessés au Poste de Secours submergé. Ceux qui peuvent marcher sont les plus nombreux. Les autres arrivent soutenus, portés par des camardes ou par des brancardiers. Le Docteur SAUDE et moi faisons l'impossible pour assurer les premiers soins indispensables à ces polyblessés qui, leurs pansements terminés, doivent laisser la place aux suivants. Nous ne pouvons que les placer sur des brancards devant le P.C. de Secours, abri tout relatif. Je me souviendrai toujours de ces pauvres malheureux attendant une hypothétique évacuation et atteints par des déflagrations d'obus dispersant leurs corps à tous vents. Les blessés gémissent, implorent, agonisent. Nous essayons de les aider, de les soulager, de les tranquilliser, de les réconforter. Ce n'est pas facile avec les pauvres moyens dont nous disposons, mais on fait pour le mieux et de tout son coeur."


A midi, le bombardement cesse, et les Chasseurs encore valides qui ont appris à connaître la signification de ce silence subit, bondissent à leur poste, tandis que les Allemands attaquent en force et que notre artillerie reste silencieuse malgré les nombreuses fusées lancées pour demander des tirs de barrage.

Quelle fut l'âpreté de la lutte?... Voici le récit qu'en a fait le Médecin-Auxiliaire MAGNENOT, que nous avons déjà cité :

"A midi, écrit-il, l'ennemi avance par vague successives et dépasse ce qui reste des réseaux. Le Capitaine SEGUIN, derrière les débris de son poste, organise la résistance avec le Sergent-Major SAUR, ses deux agents de liaison, son téléphoniste, son cuisinier. Tous sont touchés par des rafales à bout portant. Le S/Lt GOSSE est tué. Le Capitaine tombe à son tour, le bras emporté par un obus. SAUR lui fait une ligature avec le cordon de son brodequin. L'ennemi les entoure : un Officier allemand s'avance, se présente et, en un français impeccable, félicite le Capitaine de son héroïque résistance : "Mon Capitaine, dit-il, je vous félicite pour votre résistance et vous fais mes condoléances pour vos blessures.

Au poste de Commandement où je me trouve, le spectacle est émouvant. Tous, y compris de nombreux blessés, sautent de l'abri vers le parapet. DRIANT, calme, imperturbable, tireur d'élite, fait mouche à tout coup. Le Commandant RENOUARD va de l'un à l'autre, assurant le ravitaillement en grenades et commandant des feux de salve. J'admire tous ces hommes, ce ne sont plus ceux qui affalés étaient résignés sous le bombardement. Ils sont transfigurés, maintenant qu'ils sont face à face avec l'ennemi. S'ils reçoivent des coups, ils pourront les rendre, et leurs chefs leur donnent l'exemple.

Un détachement du 56e BCP se présente au Colonel. Son chef, le Lieutenant UNDSENETOCH, vient d'être tué. Le S/Lt DEBEUGNY, 20 ans, Officier de liaison, plein de cran, supplie le Colonel de lui donner le commandement, et, radieux, part à la tête de ce détachement, sous les yeux du Sergent-Fourrier MURAT, l'excellent chef des agents de liaison. Quelques instants plus tard, il nous revient sur un brancard, la gorge traversée par une belle, et meurt peu après. Le S/Lt LEROY prend sa place et, sous un feu meurtrier, maintient les Chasseurs survivants devant R2.

Le S/Lt BERGER, blessé à la main, vient me trouver. Il est furieux, veut vendre chèrement sa peau, et s'installe au carrefour des routes de Ville et de Flabas dans des trous d'obus. Il tient en échec avec sa mitrailleuse les vagues allemandes malgré un arrosage intensif de grenades et de torpilles. L'attaquant hésite devant ses lourdes pertes et cherche à encercler sa position. Mais BERGER à l'œil à tout. Avec ses rares Chasseurs qui lui restent, il cloue sur place tout ce qui se présente. Finalement, un canon amené à 200 mètres du carrefour ainsi que des lance-flammes auront raison de ce combat épique. BERGER tombe à son tour, ayant auparavant neutralisé sa pièce.

De son côté, le magnifique prêtre, l'Adjudant-mitrailleur BRUNI, brûlant des milliers de cartouches, fauche impitoyablement les assaillants tentant d'opérer l'encerclement de nos positions. (Ce même BRUNI devait se distinguer au cours de la deuxième guerre mondiale, d'abord en 1940 à la tête d'un Bataillon du 35e R.I. et ensuite, durant l'Occupation, comme chef de la Résistance des réseaux de l'Yonne et de la T.C.R.P. jusqu'au moment où il sera déporté dans un camp d'extermination.)

Mais le canon avancé qui a eu raison de BERGER, arrose maintenant à bout portant l'abri du Colonel DRIANT, sur le point d'être tourné. Nos positions sont submergées.

En première ligne, les munitions sont épuisées, les fusils brisés ou enterrés. On se bat à coup de baïonnettes, à cour de crosses; c'est le corps à corps.

Chez ROBIN, tout est bouleversé : c'est un inextricable fouillis d'arbres fracassés et de ronces artificielles. Son abri ne tient plus dans ce bas-fond marécageux où l'on s'enfonce de trou en trou avec de l'eau jusqu'au ventre. Devant l'attaque de 2 bataillons, ROBIN entouré de quelques survivants, fait désespérément front jusqu'au moment où, cerné de toute part, il sera terrassé par une dizaine d'hommes, tandis que le S/Lt PAGNON, son chef de section, agonise, aveugle et brûlé par les lance-flammes. A côté, le Sergent AVET, du 56e abat 8 hommes de ses dernières cartouches, et quand les Allemands arrivent, se cache dans une sape inondée. Dans la nuit, après d'innombrables péripéties, il arrive à traverser le bois fourmillant d'ennemis, pour rejoindre nos lignes.

Il est 16 heures. Le P.C. de R2 risque d'être débordé. Le S/Lt LEROY fait renforcer la défense de l'ouvrage alors que les balles sifflent de plus en plus, venant de toutes les directions. La pièce allemande débouche à zéro ; la situation devient critique ; il faut prendre une décision. Le Colonel réunit alors ses deux chefs de Bataillon, le Commandant RENOUARD et le Capitaine VINCENT. Faut-il tenir jusqu'à la mort, ou, réunissant ceux qui restent, tenter une percée sur BEAUMONT, gardant ainsi la possibilité de reprendre le combat dans de meilleures conditions? - Cette solution est adoptée et trois groupes sont hâtivement formés. La Compagnie SIMON, chargée de protéger ce mouvement de retraite, partira la dernière, couverte par la section du S/Lt SPITZ qui sera bientôt hors de combat.

Les blessés, affluant en masse au Poste de Secours, nous disent l'intensité des combats qui, désormais, débordent la plupart de nos positions. Les Allemands ont l'armement, l'artillerie et le nombre pour eux. Les quelques Chasseurs restants s'attaquent à des bataillons entiers, et le brave Caporal RAGOIS nous confirmera plus tard que la 10e Cie de VIGNERON, complètement encerclée, alors que la nuit était tombée depuis longtemps, se battait toujours jusqu'à l'épuisement total de ses munitions.

Au Poste de Secours, nous arrivons au bout de notre réserve de médicaments et de pansements. Au moment où je sortais sur la route accueillir un grand blessé, je fus projeté dans les airs par l'éclatement d'un obus. On me releva criblé de petits éclats avec une luxation de l'épaule gauche qui me fut réduite aussitôt par l'excellent praticien qu'était le Docteur SAUDE mon ami, toujours aussi calme et flegmatique.

Mais nous ne savions rien de ce qui se passait, sinon que nous apercevions de plus en plus des groupes de Chasseurs traversant la route malsaine en courant en direction de BEAUMONT. Il semblait qu'on nous avait oubliés, car un Chasseur interrogé nous apprit que l'ordre était donné de se replier.

Après entente avec le Docteur SAUDE, il fut décidé de laisser sur place les grands blessés et de rassembler ceux qui pouvaient marcher et ne voulaient pas tomber aux mains de l'ennemi. Notre magnifique Aumônier, le Sergent-Infirmier Père de MARTIMPREY, qui n'avait cessé de se prodiguer, déclare qu'il nous faut partir, mais que lui restera jusqu'au bout avec les mourants. Très ému, nous le laissons là, à genoux, en accomplissant l'oeuvre de double consolation du prêtre et de l'infirmier.

Et notre petite troupe, une trentaine de blessés, sans autres renseignements, sans notion précise de l'utilisation du terrain, reprend tout simplement la route de VACHERAUVILLE. A peine avions-nous passé la lisière du bois que nous étions tirés de tous côtés. Des blessés tombent pour toujours; quant à moi, je bute dans un trou alors qu'une rafale de mitrailleuse abat sur moi le Chasseur voisin qui m'inonde de sang et de cervelle... Plus loin, un malheureux, avec une fracture de cuisse, marchait en sautillant, se servant de son fusil comme béquille. La route était longue, et parsemée d'embûches et de tirs de barrages. Nous arrivâmes, enfin, après avoir retrouvé le Capitaine VINCENT et le S/Lt LEROY, tous deux blessés, au Camp du clairon ROLAND où nous pensions voir le Colonel DRIANT."


Hélas! Ces retrouvailles ne devaient pas avoir lieu.

En effet, alors que le Lieutenant SIMON, avec les quelques rescapés de sa Compagnie (une dizaine d'hommes) succombaient autour du P.C. R2 en protégeant le repli des Chasseurs sur Beaumont et au cours duquel le Capitaine VINCENT fut blessé, le Colonel DRIANT, qui était parti l'un des derniers, s'arrêta dans un trou d'obus pour soigner un Chasseur (le Chasseur PAPIN) atteint d'une balle. Les soins donnés, il continuait seul son chemin lorsqu'il fut atteint d'une balle au front et tomba sans un cri. - Quelques heures plus tard, le Commandant RENOUARD, tombait, à son tour, mortellement frappé.


Ainsi se terminait l'épopée du Bois des Caures.

Seuls descendirent hâves, boueux, harassés, affamés, exténués, hallucinés :

  • du 59e : le Lieutenant SIMON, les Sous-Lieutenants LEROY et MALAVAULTS, les Médecins SAUDE et MAGNENOT et une trentaine de Chasseurs.

  • du 56e : le Capitaine VINCENT, réservé plus tard pour une mort plus glorieuse, le Capitaine BERVEILLER, deux Lieutenants et une cinquantaine de Chasseurs.

C'est tout ce qui subsistait de 1.200 combattants.


*** CONCLUSION ***


Il nous a bien fallu, pour la clarté du récit, mentionner quelques noms mêlés à quelques faits précis, mais c'est tout l'ensemble des Chasseurs qu'il aurait fallu citer tant les actes de courage furent innombrables.

Combattants se faisant tuer sur place plutôt que de reculer; téléphonistes allant à découvert sous le feu des obus et de la mitraille réparer leurs lignes coupées; agents de liaison assurant la transmission des ordres; brancardiers relevant les blessés sous la mitraille et atteints par la mort avant d'avoir pu achever leur acte de dévouement; tous firent leur devoir jusqu'à l'extrême limite de leurs forces et souvent malgré leur angoisse et leur peur.

Leur peur! Oui!... car qui peut se vanter de n'avoir jamais eu peur et surtout en pareilles circonstances. Certs, il n'y avait pas que des héros chez les défenseurs du Bois des Caures, mais il y avait surtout ce ferment incomparable qui triomphe de tout : l'esprit d'équipe, l'esprit de Corps, l'esprit Chasseurs...


En conclusion, nous pouvons donc citer et méditer cette émouvante réflexion du Médecin-Auxiliaire MAGNENOT (qui a terminé sa carrière comme Médecin-Général et dont le père, le Chef de Bataillon MAGNENOT, Commandant un Bataillon d'Infanterie, tombait héroïquement le 22 février 1916 dans le Secteur du Bois de Consenvoye, à quelques kilomètres du Bois des Caures) :

"Durant mes longues nuits d'insomnie, écrit-il, il m'arrive de rassembler mes souvenirs. Je revois tous ceux qui sont passés par mes mains, je les classe, je les trie, les blessés légers, les blessés graves, les agonisants, tous ceux que j'ai soignés, pansés, tous ceux à qui j'ai fermé les yeux et que nous avons examinés sur les champs de bataille. Et je me demande parfois comment un aussi long martyrologe a pu être possible, a pu être consenti...

C'est qu'à cette époque, la politique et les combinaisons n'avaient pas encore profondément divisé les Français. Devant le péril, ils s'étaient regroupés, resoudés, reconnus. Personne ne se demandait s'il était "Bleu", couleur des enfants de Marie, s'il était "Blanc", couleur d'une indifférente neutralité, ou s'il était "Rouge" couleur du sang et de la révolution. On se contentait d'être "Bleu-Blanc-Rouge" et cela nous suffisait. Je dirai même qu'on en était fiers.

Le Poilu se battait bien parce qu'il savait pourquoi il se battait. C'était pour son pays menacé, attaqué, occupé, envahi. C'était pour défendre sa famille, son foyer, ses coutumes, son mode de vie, ses valeurs intellectuelles et morales, somme toute sa LIBERTE.

C'était surtout pour qu'on ne revoit plus jamais ça, toute cette misère, toute cette boucherie, toutes ces horreurs, pour écarter définitivement ce spectre hideux, cette maladie honteuse des peuples : la GUERRE.

Cette somme de sacrifices, de souffrances, de larmes et de deuils nous avalu la VICTOIRE, la PUISSANCE et la GLOIRE.

Qu'en avons-nous fait et qu'en faisons-nous, nous les VIVANTS?..."


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GROUPEMENT DRIANT - POINT D'APPUI DU BOIS DES CAURES

POSITIONS

EMPLACEMENTS

Infanterie : 59e BCP (Cdt RENOUARD) - 56e BCP (Cne VINCENT)

Artillerie


Tranchée de 1e ligne

Tr 2, 3, 4, 5, 6, 7 - GG1 : 2 sections de la 10e Cie du 59e Tr 8, 9, 10, 11, 12, 12' - GG2 : 2 sections de la 9e Cie du 59e Tr 13, 14, 15, 16, 17 - GG3 : guetteurs de la 7e Cie du 59e


1e position de défense

Lignes des S

S1, S2, S3, S4, S5 : 2 sections de la 10e Cie du 59e S6, S7 : 2 sections de la 9e Cie du 59e S8, S'8, S9, S'9 : gros de la 7e Cie du 59e



Lignes des R

R2, R3 : 8e Cie du 59e, 2 sections de mitrailleuses du 59e

Sect. B2 de la 25e Bie / 61e RA

2e position

à MORMONT

8e et 9e Cies du 56e BCP (Cne VINCENT)

Bie de 90, 900m N-0 Anglemont

Réserve de Brigade


Au Camp FLAMME : 7e Cie du 56e BCP


Réserve de Division

à VACHERAUVILLE

10e Cie du 56e BCP



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